Pourquoi, selon vous, la perspective de la vie éternelle est-elle tant occultée ?
L’historien Guillaume Cuchet a très bien démontré qu’à partir de la guerre de 1914-1918, qui a été un traumatisme majeur pour des millions de personnes, le contact avec les fins dernières s’est perdu largement (Le crépuscule du purgatoire, éditions Armand Colin, 2005). À partir de ce moment-là, on parle d’ailleurs de « l’au-delà » et non plus de « fins dernières ». Ce changement sémantique est révélateur. On constate qu’après la Première guerre mondiale, les intentions de messe pour les âmes du purgatoire ont chuté de moitié d’un coup. Cela s’explique par le traumatisme vécu. La plupart des gens, plongés dans un profond désespoir, ont alors perdu tous leurs repères. Brancardier pendant la guerre, le père Teilhard de Chardin lui-même écrit en 1919 : « Je me suis souvenu de nos morts, sous le souffle de la guerre. Tous ces héros me paraissaient s’échapper de la terre comme les étincelles que le vent fait jaillir d’un brasier. Peut-être pour l’éclosion d’une telle gerbe de lumière, j’aurais compris que nous ayons souffert si j’avais pu apercevoir la flamme vivante où les âmes des tués allaient s’intégrer. Mais cette flamme n’est pas visible de la terre. Elle brille dans un autre cercle de notre univers. Au scandale des maux que nous avons subis, ce n’est pas la perfection des vies qui nous ont quittés, mais une amélioration constatée ici-bas sur la terre qui peut donner la seule réponse que nous attendons. » On perçoit dans ce texte qu’à la verticalité des fins dernières s’est substituée une espérance pour ici-bas. Ce mouvement s’est accentué par la suite. La répétition des guerres puis l’émergence et le développement de la société de consommation ont fait s’éloigner de plus en plus l’horizon des fins dernières dans la société contemporaine.
Certains disent : « La vie après la mort ? On ne peut rien en dire ! Personne n’en est jamais revenu » (sauf le Christ) Comment leur répondre ?
Il est amusant de constater que le même argument apparaît dans l’Évangile, dans la parabole du pauvre Lazare et du riche (Luc 16, 19-31). Le riche, qui est mort et, répondant de ses actes, souffre terriblement, supplie qu’on envoie quelqu’un convaincre ses frères encore sur terre du risque qu’ils courent. Et « Abraham lui répond : Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! Non, père Abraham, dit le riche, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront. Abraham répondit : S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. » Cette parabole est intéressante car elle nous ramène à l’Écriture, mais aussi à la tradition et au magistère. Quand on ne se situe plus dans cette perspective, on cherche d’autres points d’appui. Et on n’est pas prêts, même si quelqu’un revient de l’au-delà, à y croire. On trouvera toujours une bonne raison de ne pas y croire.
Lors des funérailles, les personnes présentes dans l’assemblée sont assez souvent éloignées de l’Église. Je leur propose une catéchèse sur le Credo, leur rappelant que nous, catholiques, croyons à la communion des saints, à la résurrection de la chair et à la vie éternelle. Et je commente ces articles de la foi.
Quelle boussole utilisez-vous pour vos recherches ?
J’aime parler d’un système “de haute-fidélité à trois éléments” qui permet de transmettre de manière fiable la révélation reçue : Écriture, tradition, magistère. Je me fonde sur les textes du magistère qui ont été publiés dans le Catéchisme de l’Église catholique, sur les textes du concile Vatican II et de tous les conciles ; sur les écrits des pères de l’Église, des saints et bien sûr, avant toute autre chose, sur l’Écriture sainte.
Comment se préparer au mieux à cette vie éternelle dès maintenant ?
Dans la foi catholique, la vie spirituelle nous fournit deux moyens essentiels :
- La prière, à condition que cela soit une prière qui fasse progresser dans l’amour et le désir de Dieu, dans un attrait pour son dessein et une vie de communion avec lui. Rien à voir avec ce que Marthe Robin appelait « les pieuses nullités dont se rient les démons ». Par cette expression, elle vise les pratiques de personnes qui, vivant dans une forme de superstition, rabâchent des prières et appliquent des recettes de prière. Elles tournent en rond, enfermées en elles-mêmes. C’est une caricature de la vie d’union à Dieu à laquelle mène la vraie oraison.
Il est urgent de créer des écoles de prière où l’on apprend l’oraison, la prière des Psaumes, la méditation de la Parole de Dieu, la prière du Nom de Jésus, le chapelet, toute forme de prière authentique, etc. - L’autre moyen, c’est d’accepter d’entrer dans un travail sur soi, ce que l’on appelle l’ascèse. Cela suppose de s’extraire de la société de consommation, de confort et de la facilité, de la pente dans laquelle nous sommes tous embarqués en permanence. Cela exige un combat contre ses passions et pour acquérir un cœur doux et humble à l’école de Jésus.
Comment grandir dans le désir du ciel ?
En se nourrissant sur le plan spirituel. La lecture de la vie et des écrits des saints y aide beaucoup. Ces amis de Dieu nous donnent la bonne ambiance, la juste perspective. À chaque fois que je lis sainte Faustine, Jean de la Croix, Thérèse d’Avila ou Thérèse de Lisieux, cela fait grandir mon désir du ciel. Mais c’est un travail, une ascèse, une recherche constante.
Le père Jean-Marc Bot est l’auteur de L’Enfer – Affronter le désespoir; Le Purgatoire – Traverser le feu d’amour ; Le Paradis – Goûter la joie éternelle, Éditions Emmanuel, 2014. Mais aussi : Les mystères de la vie éternelle, toutes vos questions sur l’au-delà…Artège, 2017. Et Ils reconnaîtront en vous mes disciples, Ce qui fait que nous sommes catholiques, Artège, 2019.
Lire aussi Thérèse et l’au-delà, par Blaise Arminjon, jésuite.