Valérie CORRE
Mettre des mots sur les maux
Il a fallu des années de silence et d’amour à Valérie Corre pour pouvoir presque « tout dire » après avoir subi l’inceste pendant son enfance.
J’ai six ans lorsque je suis brutalement plongée dans le monde du silence. Je suis une gentille petite fille devant « aimer » son papa, obéissante, devenue une proie à disposition, otage, agneau sacrifié. Enfance transformée en supplice, les coups les plus violents ont été aussi les plus invisibles. Je les ai reçus de celui qui aurait dû me protéger, mon père, et de son frère, mon oncle, sinistres héros de la perversion. Ces deux abuseurs sévissaient dans l’anonymat, le secret de l’alcôve familiale. Dans le plus insoutenable des silences et la plus grande indifférence générale, j’ai tenté de survivre à l’inceste, subi régulièrement durant plus de mille quatre-vingt jours. Souffle fragile. Ne pas en parler, ne plus parler. « Sois gentille…! »
Les menaces, puis les abandons, ensuite les placements à la DASS, saccagent un peu plus ma personnalité, mon droit à l’amour, mon droit à la vie, mon droit à l’enfance. Je m’appelle Valérie : « Matricule 147 ». Éprise de liberté et attirée par les arbres, un jour, au bout de la clairière juxtaposant le parc de l’orphelinat, je découvre une chapelle à l’abandon. Intriguée par la représentation d’un homme accroché, cranté comme un vulgaire tissu sur une croix, je saisis la souffrance. Rien qu’à le regarder, je l’aime déjà !
Recueillie chez mes grands-parents, à l’âge de neuf ans, j’applique mon cœur à comprendre, au catéchisme, attentive aux autres, pleine de compassion pour un autre « père » qui, pour moi, est tout le contraire de mon géniteur. Le même homme rencontré au bout du sentier perdu, dans la bâtisse, sur la croix, c’est Lui, le « Père » !
Un soir, j’ai dit « Père », poussée par la honte, la douleur morale. Poussée par ce besoin de respirer autrement, de remonter des abîmes de l’horreur. Poussée par la nécessité d’aimer et d’être aimée. J’ai dit « Père », comme j’aurais exprimé : « Me voici. » Revenir du fin fond de l’enfer, calcinée dans tout mon être, il me devenait indispensable de ne compter que sur Dieu, qu’Il me tire de là, qu’Il me tire vers le haut. Je reçois la grâce du baptême et de la communion à treize ans : j’unis mon âme à celle du Christ (comme-union : à deux, ça devrait aller mieux !). « N’aie plus peur, tu es libre, tu peux reconstruire ta vie », signifiait-Il au creux de mes prières.
« Il faut veiller, ma fille, jusqu’à la fin, et les tempêtes pourront te tremper mais sans te nuire et tu iras, chargée de fruits, vers Moi, ton Seigneur, pour la récompense éternelle. Ne te dépouille jamais de la ‘protection’ de la prière. »
Tel un goutte-à-goutte d’amour à ma vie, le Christ panse mes blessures, peu à peu. Il y a eu aussi des années de persévérance, de lutte contre mes traumatismes, contre les indifférences et les humiliations. Je me suis cognée souvent à ma mémoire douloureuse et au pardon. Le pardon du vouloir et celui du pouvoir. Le pardon de la mémoire n’est pas facile. Il exige beaucoup de temps. Il fallait aussi absolument recréer mon histoire. Tendre vers le plus beau, donner des gestes d’amour, (j’ai été hospitalière à Lourdes auprès des malades) porter un regard d’amour sur les victimes d’inceste (étant membre d’association d’aide aux victimes). Transformer ma vie en existence d’amour. Dieu m’a donné la force de revivre, Il m’a aussi donné les outils pour témoigner autour de l’événement qui a marqué mon enfance. Et de mettre des mots sur les maux. J’ai écrit mon livre Sois gentille comme un témoignage qui se veut sensible et lucide. Il a été présenté à la commission des lois de l’Assemblée Nationale en 2013. Il est un appel à la dignité humaine, à une prise de conscience. Il est le point de départ d’un débat citoyen, un passeport pour la réhabilitation, un droit à la vie, un hymne à l’amour.
« Sois gentille… ! » Éditions Au Verso
Site internet : www.soisgentille.123siteweb.fr
Article paru dans L’1visible du mois de mars 2015 en partenariat avec Ilestvivant!
- +33 (0)1 58 10 75 00
- abo@ilestvivant.com
- LUNDI - JEUDI 9h à 12h / 14h à 17h30