Marc et Florence de Leyritz, responsables d’Alpha dans le monde pour l’Eglise catholique et fondateurs en France des Parcours du même nom, sont auditeurs au Synode sur la Nouvelle évangélisation. Ils répondent à nos questions avec beaucoup de pédagogie et de précision. Entretien.
Propos recueillis par Claire Villemain, à Rome.
Vous êtes auditeurs, invités par le Pape, lors de ce Synode. Pouvez-vous nous dire quel est votre rôle?
F. de Leyritz Nous sommes une cinquantaine d’auditeurs. Nous pouvons contribuer aux travaux de l’assemblée synodale en faisant une intervention en public (de quatre minutes). Nous travaillons également dans les commissions, où sont présents une trentaine d’évêques et 2 ou 3 experts et auditeurs. Il s’agit là d’un véritable lieu d’échanges, de travail et de propositions, et cela est très riche. Et puis il y a toutes les rencontres autour du café, des déjeuners, qui sont d’extraordinaires moments d’échanges.
Cela n’échappera pas à nos lecteurs: vous êtes également invités en tant que couple… Comment interprétez-vous cela?
M. de Leyritz Il s’agit selon moi d’une forme de réponse à l’ouverture que le Saint Père a faite en disant que la famille n’est pas seulement un objet ou un lieu d’évangélisation, mais aussi un sujet d’évangélisation. Et c’est certainement le cas de notre famille depuis 15 ans qui s’est structuré entièrement autour de l’annonce de la Bonne Nouvelle.
La question des méthodes catéchétiques sont beaucoup abordées depuis le début de ce Synode. Que pensez-vous de ces interventions?
F. de Leyritz Il y a eu surtout beaucoup de demandes pour savoir ce qui peut être mis en œuvre. Tout le monde est d’accord pour dire que l’évangélisation ne se réduit pas à des outils, à des méthodes, mais qu’elle commence par l’action du Saint Esprit, protagoniste principal de la mission, et par la conversion personnelle des évangélisateurs. Mais dans les interventions et en privé, la grande question est : comment fait-on? Comment permet-on notamment aux laïcs dans les communautés ecclésiales de base de toucher eux-mêmes leur quartier, leur milieu relationnel? Il y a un vrai besoin de moyens.
Faut-il tendre, comme certains l’évoquent, vers une simplification de la première annonce?
M. de Leyritz Il faut surtout faire une première annonce tout court! Il y a, pendant ce synode et dans l’esprit des Pères, une prise de conscience très nette d’une distinction entre le kérygme et la catéchèse. Jean Paul II l’avait déjà mise avec force en lumière dans Redemptoris Missio ou Catechesi Tradendae. Il y a deux « mi-temps », comme disait un évêque: la première c’est le kérygme, la deuxième c’est la catéchèse. « Le kérygme c’est l’annonce, pleine de lumière et de chaleur, à la suite de laquelle un homme ou une femme fait la rencontre du Seigneur, le reconnaît comme sauveur, et décide de lui remettre sa vie. » (Jean Paul II, Catechesi Tradendae) Il ne s’agit donc pas de simplifier le kérygme, comme s’il fallait qu’il soit un catéchisme au rabais, comme une pilule lyophilisée. Le kérygme est une pointe de feu brûlante que l’on voit à l’œuvre dans les Actes des apôtres au jour de la Pentecôte (« Ils eurent le cœur transpercé et demandèrent : Frères, que devons-nous faire? »). Cette distinction entre catéchèse et kérygme, elle était acquise sur le plan intellectuel, mais l’on sent que sur le plan pastoral, elle commence à profondément rentrer dans les cœurs. Et c’est là qu’Alpha rentre en scène.
F. de Leyritz Je suis très touchée par certaines interventions qui appellent à avoir un vrai recours à une campagne kérygmatique massive, comme étant un besoin. D’autres emploient le terme de « désert kérygmatique », en déclarant: « Nous avons abandonné le kérygme depuis 150 ans ». Venant d’Alpha, c’est ce qui nous touche le plus. On sent une réappropriation de cette annonce, qui n’a pas besoin d’être simplifiée car elle déjà essentielle, simple et vitale.
Dans les chantiers pour une nouvelle évangélisation, on parle aussi d’une meilleure formation des prêtres, laïcs, catéchistes. Vous travaillez beaucoup sur cette question de la formation. Sentez-vous que les lignes bougent?
M. de Leyritz Le synode a été conçu non pas comme un lieu de recension de tout ce qui existe (c’est ce que montre l’Instrumentum Laboris), mais comme un lieu de prise de recul pour, dans la grande tradition de l’Eglise, voir ce qui est bon et le retenir, et de faire le point. De plus en plus de gens se rendent compte que parler d’évangélisation en termes de finalité (conduire les personnes au Christ) ou en termes de contenu (et nous avons là une salle pleine d’éminents théologiens), cela n’est certainement pas suffisant. Qu’il faut aussi réfléchir en termes de processus. Il y a dans le chapitre 2 d’Evangelii Nuntiandi des mots très puissants qui montrent que l’évangélisation est un processus dans lequel on passe de l’état de païen à celui d’un questionnement, puis d’une conversion personnelle au Christ (c’est là le lieu du kérygme), puis l’on passe à l’état de disciple, puis à celui de missionnaire. Il y a donc une forme d’évolution permanente, comme une spirale que décrit très bien Paul VI dans son texte. L’évangélisation c’est cette croissance de l’être humain spirituel.
Ce que l’on constate sur le terrain, c’est que nos systèmes pastoraux ne fonctionnent pas de cette façon. Il n’y a pas d’articulation entre ces cinq grands moments. Il y a une urgence, et c’est cela que nous allons porter cet après-midi dans notre intervention, de raccorder ces différentes parties de la pastorale. Aujourd’hui dans l’Église, en en France en particulier, on fait des tas de belles choses, mais le système ne boucle pas. Nous sommes comme un grand système de distribution d’eau, de la grâce de Dieu, mais comme on n’a pas fait attention, il y a des fuites dans tous les sens. Ce que l’on doit attendre du leader (et c’est ce que l’on fait dans notre formation) c’est de mettre en place un système dans lequel les pasteurs ont une vision globale de la pastorale, en faisant attention à ce que l’ensemble boucle bien, et que les personnes puissent être comme dit l’apôtre « transformés de gloire en gloire par l’Esprit Saint ». Pour l’instant beaucoup rencontrent le Christ, beaucoup sont baptisés, mais beaucoup disparaissent de l’Église. En France, il y a ainsi 90% des baptisés adultes de la nuit de Pâques qui ont quitté l’Église dans les cinq ans qui ont suivi leur baptême. Et c’est un drame. Le leadership est donc là pour redonner une cohérence à tout cela.
Le Primat de la communion anglicane est un invité spécial du Pape, comme beaucoup d’autres prélats protestants. Vous qui êtes fondateurs d’Alpha en France, comment interprétez-vous ce signe fort?
M. de Leyritz Il y a pu y avoir, jusqu’à il y a peu de temps en France, cette question de dire: « est-ce qu’Alpha n’est pas un peu teintée par son origine (protestante NDLR) », et ceci bien que depuis déjà 12 ans les évêques de France aient complètement acclimaté Alpha à l’Église catholique. L’invitation d’Alpha au synode est une reconnaissance qui, pour moi, efface ce qui pouvait rester chez les gens, et leur retire l’excuse de regarder Alpha sur ce plan-là.
Ce qui est plus important, c’est que sans l’unité visible des chrétiens, c’est impossible d’annoncer la Foi dans le monde actuel. Nos divisions sont un scandale absolu qui fait trébucher les gens et leur rend impossible l’acte de foi. Les dynamiques qui portent du fruit le sont notamment parce qu’elles sont vécues dans l’unité. Nous regardons le monde depuis l’Église Une, Corps du Christ, d’une manière unifiée (même s’il subsiste des divisions temporelles). Ce qui compte c’est que la Parole de Dieu, l’Esprit Saint, l’Amour de Dieu, soient répandus partout. D’une certaine façon, peu importe par qui. Je suis heureux de constater, avec la présence de grands responsables orthodoxes et protestants ici, qu’il y a cette compréhension qu’aujourd’hui les chrétiens ne peuvent plus se permettre de traiter ce sujet de Nouvelle évangélisation en étant séparés, avec des querelles de chapelles. Il y a une vision unie, unifiante, qui est magnifique parce qu’elle répond à la dernière prière du Christ : « Qu’ils soient un, pour que le monde croit ». Quand un ami meurt, c’est important d’écouter sa dernière volonté. Dans la salle du synode, l’applaudimètre est subtil, mais je ressens qu’il est particulièrement fort lors des interventions de nos frères et sœurs des autres églises.
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