Le père Eric Jacquinet, membre de la communauté de l’Emmanuel, est responsable de la section Jeunes au Conseil Pontifical pour les Laïcs, au Vatican. Il nous parle des besoins des jeunes aujourd’hui, et de ses espérances sur ce synode.
Propos recueillis par Claire Villemain, à Rome.
Quelles sont vos attentes pour les responsables des jeunes sur ce synode ?
Il faut aider les évêques, prêtres et laïcs en charge des jeunes à clarifier les éléments fondamentaux de la pastorale des jeunes. Il me semble comprendre que Jean-Paul II nous a fait faire un saut qualitatif important. Quand Jean Paul II, au jour de Pâques 1984, donne une croix aux jeunes, il recentre la pastorale des jeunes sous le signe du Christ mort et ressuscité. Quand il décide que les deux premiers rassemblements (1984-1985), puis les JMJ, seront célébrés le week-end des Rameaux, il a un projet théologique et pastoral : il veut donc recentrer les jeunes, et le travail de l’Eglise avec les jeunes, sur le mystère pascal, c’est-à-dire du salut en Jésus Christ mort et ressuscité. Et il le fait à une époque où, dans les groupes d’aumôneries (en tous cas en France), on se demandait s’il fallait parler du service des pauvres, de la sexualité, de la violence, de la drogue ou de l’amitié. Il nous fait faire une révolution copernicienne.
Les responsables de jeunes ont-ils pris conscience de cette révolution ?
Il me semble que nous non. Nous n’avons pas pris la mesure de l’héritage de Jean Paul II, de Benoît XVI, et de l’histoire des JMJ. Le concept « JMJ » s’est beaucoup déployé, depuis les premières en 1987 à Buenos Aires jusqu’à Madrid en 2011, et demain Rio en 2013. L’enrichissement du concept des JMJ a été énorme : il y a eu progressivement la dimension de pèlerinage, les catéchèses données par des évêques, les journées dans les diocèses, le festival de la jeunesse, la place centrale du chemin de Croix, les confessions, l’adoration eucharistique, etc. Chaque fois, l’Esprit Saint a fait comprendre aux organisateurs qu’il fallait rajouter un élément essentiel, pas seulement pour un événement ponctuel, mais comme un point structurant de la pastorale des jeunes, dans le travail quotidien de l’Eglise. Il faudrait parler de la responsabilisation des jeunes durant les JMJ : 22500 volontaires à Madrid, magnifique signe de leur générosité ! Cette responsabilisation des jeunes va d’ailleurs dans le sens du message de Paul VI aux jeunes à la fin du Concile, un message qui responsabilise très fortement les jeunes. Jean Paul II lui aussi nous a appris à faire confiance aux jeunes et à leur donner de grandes missions. Tout ce travail de relecture de tout ce que nous avons reçu pour la pastorale des jeunes depuis Paul VI jusqu’à aujourd’hui n’a pas encore été fait, et il reste à faire. La centaine de responsables des jeunes des différentes conférences épiscopales et les responsables des grandes communautés ecclésiales, avec qui je suis en lien, ne se sont pas encore approprié ces richesses que l’Esprit Saint a données à l’Eglise à travers Jean Paul II et Benoît XVI.
Qu’attendez-vous donc de ce synode ?
J’attends que le synode donne une impulsion pour nous recentrer sur le cœur de la mission. Jean Paul II disait : « Il faut repartir du Christ » ; Benoît XVI dit qu’il faut permettre aux jeunes de connaître Dieu en ouvrant trois livres : celui de la Création, celui de la Révélation de Dieu dans sa totalité (Ecriture, Tradition et Magistère), et celui de l’Histoire. Le Pape dit qu’il faut permettre aux jeunes de faire l’expérience de l’Eglise comme d’une « compagnie fiable d’amis ». Le thème de l’amitié revient très souvent dans sa pensée. Par rapport au relativisme, il nous rappelle qu’il faut donner la Loi aux jeunes, parce qu’elle fait partie de l’intégralité de la Parole. Cela montre que le Pape a un projet théologique pour la pastorale de jeunes. Il est donc important de collecter tous ces éléments, que souvent nous minimisons. J’attends donc du synode qu’il nous aide à recentrer les choses à une époque où nous sommes en grande difficulté sur la pastorale des jeunes.
Les jeunes sont une question importante pour Benoît XVI…
Le Pape parle souvent d’ « urgence éducative », et quand il rencontre le président Sarkozy le 12 septembre 2008 à l’Elysée à Paris, il déclare : « Les jeunes sont ma préoccupation majeure ». Le Saint Père nous a donc livré un discours fondamental sur la formation et l’éducation des jeunes dans l’Eglise (de 2005 à 2007 pour le diocèse de Rome, de 2008 à 2010 pour la conférence épiscopale italienne, mais discours à valeur universelle). Il faut maintenant prendre la mesure de l’enjeu, des difficultés et des voies ouvertes par Dieu pour l’évangélisation des jeunes.
Qui sont les jeunes aujourd’hui ?
A mon poste, j’observe deux catégories de jeunes. L’Esprit Saint suscite aujourd’hui une jeunesse très généreuse et d’une grande sainteté, particulièrement en France, et c’est un don de Dieu dont nous n’avons aucun orgueil à tirer. Il y a une belle jeunesse française, très engagée dans l’Eglise et dans la foi : des jeunes déterminés à vivre de l’Eucharistie, à adorer le Christ, à recevoir le sacrement de réconciliation, à servir, à s’engager pour devenir des chrétiens compétents, à donner leur vie pour le Christ en l’annonçant. C’est extrêmement beau. Nous en avons parfois la manifestation, comme par exemple lors de la JMJ de Madrid. En même temps, nous avons une jeunesse très abîmée, parfois en grande difficulté, prisonniers d’addiction à l’alcool, à la nourriture, aux jeux d’argent sur le web, à Internet, à la pornographie et aux réseaux sociaux (une addiction très insidieuse car non repérée comme telle mais qui, pourtant, coupe les jeunes du réel, de leurs proches et de leurs études). Ces dépendances sont la manifestation d’une frustration psychologique chez des jeunes qui souffrent (échec affectif personnel suite au divorce des parents, à des échecs affectifs ou scolaires, face à un avenir marqué par le chômage). Si Dieu n’est plus présent dans l’horizon d’une personne, elle sera seule à se débrouiller avec ses frustrations et ses souffrances. Et on sait où cela la conduit.
Comment aider ces jeunes en grande difficulté ?
Nous avons la réponse dans la première catégorie de la jeunesse, avec la formation de jeunes saints et missionnaires. Le synode doit soutenir l’émergence de cette nouvelle génération extrêmement riche et belle que l’Esprit Saint suscite en temps de crise. Quand on regarde le début des communautés nouvelles en Europe, tout est toujours parti d’un groupe de jeunes qui avaient une foi profondément enracinée dans le Christ, et très insérés dans leur milieu de vie. Ils ont reçus du Seigneur, en le suppliant, les moyens et les réponses de l’Esprit Saint pour les difficultés de leur époque.
Comment accompagner cette nouvelle vague de « sainteté » ?
D’abord en prenant conscience qu’il faut l’accompagner, car elle va faire émerger des solutions pour aujourd’hui. Ensuite, en s’occupant sérieusement de la formation des jeunes responsables et des jeunes missionnaires partout dans le monde. La JMJ de Rio en 2013 est un bon exemple, car elle met dès aujourd’hui en route un renouveau missionnaire et la formation des jeunes au Brésil et dans quelques autres pays d’Amérique du Sud, grâce à la Croix et à l’icône de la Vierge Marie qui circulent dans tous les diocèses brésiliens. Ce sont les jeunes qui doivent être les apôtres des jeunes. Quand Chiara Lubich a démarré les Focolari, elle avait 23 ans. Quand Andrea Riccardi a lancé Sant Egidio, il avait 17 ans. Les futurs saints de l’Eglise sont là, aujourd’hui, parmi nos adolescents ! Il faut les repérer. Or nos communautés sont parfois tentées d’être un peu frileuses en disant : « On ne peut quand même pas donner des responsabilités à des jeunes de 17 ans… ! »
A vous entendre, il faut très sérieusement prendre soin de ces jeunes responsables…
Bien sûr. Et je suis témoin que l’Esprit Saint suscite vraiment des jeunes qui ont un grand désir de Dieu, veulent suivre le Christ et être ses témoins au milieu de leurs collègues de classe. Je peux vous citer l’exemple de Rachel, une jeune française de 14 ans, expatriée avec ses parents en Angola. Elle se dit : « Je ne peux pas rester dans ce pays là, c’est extrêmement difficile ». Puis elle comprend que le seul moyen de survivre dans ce pays est de constituer un groupe de prière. Elle n’a que 14 ans quand elle devient responsable de ce groupe qui comprend des jeunes et des adultes, et l’a tenu jusqu’à l’âge de 17 ans. Ses parents, qui avaient reconnu en elle l’appel de Dieu dans cette intuition, lui ont fait confiance, et c’est cela qui a permis à Rachel de mener ce groupe. Ils ont été de très bons éducateurs ! C’est l’accueil de l’appel de l’Esprit Saint dans le cœur des jeunes, l’encouragement et la formation de ces jeunes, qui permettra de faire émerger la nouvelle génération que l’Esprit Saint est en train de susciter. .
Quel est l’enjeu pour les adultes ?
Il faut repérer le travail de l’Esprit Saint chez un jeune, et savoir l’accueillir et l’accompagner. Nous sommes, nous les prêtres, parfois trop frileux quand des jeunes de 18-25 ans viennent nous dire : « Nous voulons évangéliser, pourriez-vous venir avec nous ? Nous vous demandons seulement de célébrer la messe, confesser et nous enseigner », et que nous répondons que nous n’avons pas le temps, nous avons trop de travail ! Nous n’avons alors pas compris que l’Esprit Saint est en train de susciter une nouvelle génération de missionnaires. Mais Dieu continue à guider son Eglise : je le vois en rencontrant des jeunes convertis et prêts à tout donner pour Jésus. C’est magnifique !
- +33 (0)1 58 10 75 00
- abo@ilestvivant.com
- LUNDI - JEUDI 9h à 12h / 14h à 17h30