Sophie Lutz est la mère d’une petite fille polyhandicapée, Philippine. Portrait d’une femme qui a laissé la faiblesse renforcer sa vie.
Sophie porte, dans la douceur de son visage et l’acuité de son regard, une part du mystère de la maternité. Pourtant, si cette jeune femme a déjà trois enfants, la maternité a revêtu un visage bien particulier depuis que Philippine est arrivée dans sa vie, dans son ventre et dans son cœur. Une petite fille fragile, au corps abîmé, à l’intelligence blessée : Philippine est polyhandicapée. Personne ne pensait qu’elle pourrait voir le jour. Et aujourd’hui, sept ans après sa naissance, elle est là, belle et bien vivante. Il est difficile de parler de Sophie sans parler de Philippine, tant l’arrivée de sa petite fille fragile a bousculée cette femme, pour qui jusqu’à présent tout était facile. « Moi qui étais dans la force – force d’avoir grandi dans une famille équilibrée, force d’un couple uni – je n’ai pas eu d’autre choix qu’être plongée dans la faiblesse. Faiblesse de Philippine, de l’amour pauvre que je peux lui porter. Fragilité de sa vie, de notre vie à tous. » La vulnérabilité de leur toute petite fille a bousculé la hiérarchie des valeurs que Sophie et Damien, son mari, s’étaient forgée : une vie n’est réussie que lorsqu’on est aimé, gratuitement et simplement.
« La faiblesse dit quelque chose. Elle nous a permis d’ouvrir nos cœurs à l’extrême fragilité de l’autre. »
Philippine n’entend pas, elle ne parle pas.« Je ne peux lui dire « Je t’aime » qu’en la touchant, en plaçant mon visage près du sien, en caressant ses mains. Le contact avec la vulnérabilité de Philippine m’a obligée à puiser beaucoup de forces en moi. Mais j’ai découvert que cette réserve de forces n’était pas infinie, et que j’étais, moi aussi, fragile et vulnérable. » Cette descente en elle-même, mêlée au besoin d’être comprise par ses proches – particulièrement par ceux qui ne comprenaient pas le choix de garder ce bébé – a conduit Sophie à écrire son témoignage, et à le publier. Encouragée par des éditeurs et par ses proches, qui ne cessent de lui dire « notre société a besoin de ton témoignage ! », elle se lance dans une relecture de ces sept dernières années. Elle entre en introspection, un exercice difficile : « De nombreuses personnes me disent qu’elles ont pleuré en lisant mon manuscrit. Mais si vous saviez comme j’ai pu pleurer en écrivant ces lignes ! Je me suis rendue compte, en le faisant, du bénéfice psychologique de l’écriture. Elle permet de poser hors de soi une douleur si envahissante qu’elle n’a pas toujours assez de place en soi. » Avec ce livre, Sophie n’a d’autre arrière-pensée que de livrer le récit de son quotidien, bouleversé par cette petite fille si forte et si fragile. « Philippine m’a fait devenir quelqu’un d’autre. Voilà sa réussite. »
Claire Villemain