Mes parents étaient autrichiens, juifs tous les deux. Ils ont dû se réfugier en Inde, à Calcutta, en 1938 à cause des persécutions nazies, suite à l’Anschluss. J’y suis né en 1947. Ma sœur y a vu le jour aussi quelques années auparavant (elle s’est convertie en 1961). Six mois après ma naissance, mes parents se sont établis en France où je vis depuis l’âge d’un an. J’ajouterai encore que je n’ai reçu aucune éducation religieuse juive. Mes parents ne pratiquaient pas, même pas le minimum. Nous ne fêtions pas le shabbat et je n’ai pas fait ma Bar Mitzvah (fête et étape religieuse pour tout garçon juif parvenu à l’âge de 13 ans). J’ai donc grandi dans une réelle indifférence et ignorance religieuse.
En 1976 j’ai vécu une très intense et soudaine conversion, au sein d’une situation personnelle éprouvante, grâce à la rencontre d’une personnalité du Renouveau charismatique catholique d’Angleterre. Du jour au lendemain, j’ai reçu le don de la foi, et fait l’expérience de la présence bouleversante de Dieu dans mon cœur et dans ma vie. Fin 1977, j’ai reçu le baptême dans l’Église catholique, au Sacré-Cœur, à Montmartre (Paris).
Deux jours après, humour de la Providence, je me retrouve pour quelques jours de retraite personnelle à Cordes, au sein de la Communauté des Béatitudes. Or cette communauté a reçu dès sa fondation un appel particulier à vivre en communion profonde avec le peuple juif ; et tous les vendredis soir, les membres de la communauté célèbrent le Shabbat, à l’heure même où le peuple de la première Alliance le célèbre. Et voilà que moi qui, comme juif, n’avais jamais assisté à un seul shabbat, à peine catholique depuis deux jours, j’ai vécu là mon premier shabbat ! Cette expérience qui m’a marqué a ensuite été considérablement enrichie, plusieurs années plus tard, par les études en théologie que j’ai faites à Bruxelles, dans le cadre de l’Institut d’études théologiques. Là, grâce à certains professeurs éminents, l’accent a été mis souvent sur les origines de notre foi, à savoir la vocation du peuple de la première Alliance. Je me souviens surtout avec gratitude de l’étude très approfondie des chapitres 9 à 11 de la Lettre aux Romains qui traitent du mystère de l’élection d’Israël, en lien avec la foi au Christ. C’est ainsi que progressivement a eu lieu la redécouverte pour moi de ma propre identité de juif, de fils d’Israël. Avant ma conversion, je le rappelle, j’y étais indifférent. Depuis mon baptême et à la lumière de ma foi, j’ai pris conscience de mon appartenance au peuple d’Israël.
De plus, être prêtre revêt pour moi une importance particulière, à la lumière de cette prise de conscience. En effet, du côté de mon père, je fais partie de la branche des Cohen, la branche sacerdotale des fils d’Aaron. Chez mes ancêtres paternels, il y a eu toute une lignée de rabbins et ensuite comme une cassure : plus de pratique religieuse pendant trois générations. Et maintenant, à nouveau le sacerdoce, dans la nouvelle Alliance. Je ressens très fort le fait d’être prêtre, juif, faisant partie des Cohen, dans ce temps particulier que vit l’Église avec toute la prise de conscience post-conciliaire de l’importance et de la permanence de la vocation d’Israël et de ce qui nous enracine en Israël. Il me semble que Dieu m’a ainsi donné, par grâce, une place dans son Cœur, dans le cœur de l’Église mais aussi dans le cœur d’Israël. J’y entrevois une dimension eschatologique, comme une attente de la venue du Seigneur en gloire et de la Jérusalem du ciel où les deux réalités, juifs et païens, ne feront plus qu’un seul peuple élu dans le Christ, Messie d’Israël et Roi de l’univers (Cf. Éphésiens 2,11-22).
Une de mes joies sacerdotales est de célébrer régulièrement une messe à l’intention d’Israël, du peuple juif, en utilisant comme calice la coupe de shabbat de mon ancêtre Eliah, le dernier rabbin de la famille, qui a officié en Europe centrale, il y a plus de trois générations.