En tant que nouvel évêque d’Annecy, que représente pour vous la figure de saint François de Sales ?
Je connaissais bien sûr cette immense figure avant d’arriver ici. Mais depuis que je suis là, je le découvre davantage. Quand le nonce m’a annoncé : « le pape vous nomme évêque d’Annecy », il a dans la foulée insisté : « réfléchissez bien, c’est la succession de François de Sales ! »
Je ressens à la fois un attrait pour cette figure très inspirante et adaptée à notre époque et à la fois, lui succéder est un terrible défi : comment prétendre succéder à un tel homme ! Lui qui a reçu le titre de docteur de l’Amour écrit : « Tout est à l’amour, en l’amour, pour l’amour en la sainte Église. » Et en écho, sa devise est : « Rien par force, tout par amour. »
De quelle manière avait-il déjà croisé votre chemin ?
J’avais lu ses écrits majeurs l’Introduction de la vie dévote, et le Traité de l’amour de Dieu. Mais il est encore plus intéressant de lire ses lettres et ses entretiens avec des sœurs de la Visitation. Il y en a 25 volumes !
J’ai passé dix ans de ma vie à Paray-le-Monial. En travaillant sur les apparitions du Sacré Cœur à Marguerite-Marie, j’ai compris qu’elles ne tombaient pas du ciel. François de Sales a fondé la Visitation en disant des Visitandines : « Elles seront les filles du Cœur de Jésus. » Sur de nombreux tableaux, François de Sales est représenté avec un cœur à la main : c’est le cœur du Christ. Cette spiritualité du cœur, qui va imprégner tout le XVIIe siècle, était très présente chez lui. Lors de sa crise existentielle, à Paris (lire page 4), il dit dans sa prière cette parole très forte : « Mais rien ne m’empêchera d’aimer. » L’expérience que l’amour de Dieu sauve et est omniprésent dans notre vie est pour lui une source de libération et marque toute son existence.
Marguerite-Marie est donc une héritière de François de Sales. Au-delà des apparitions, elle a eu une vie mystique intense. Quand elle rentre à la Visitation, c’est encore une jeune communauté. Elle devient fille de saint François de Sales. Il est donc cohérent qu’elle soit à l’origine de ce que l’on appellera la spiritualité du Sacré Cœur.
François de Sales fut aussi un grand évêque : comment vous inspire-t-il dans le gouvernement de votre diocèse ?
D’abord, en ce qu’il a su décrypter les changements de son époque. C’est ce que souligne le pape François dans la Lettre apostolique qu’il lui consacre (lire pages 43 à 49). Lui qui vit à une période très trouble (guerres de religions, mondanité de la cour, guerres en Savoie), il a le génie de percevoir la soif spirituelle de ses contemporains, et de saisir qu’il faut y répondre par un langage nouveau. Il propose la sainteté pour tous. Pour lui, la rénovation de l’Église passe par la sainteté de tous les baptisés. C’est alors une grande nouveauté.
Nous-mêmes, nous vivons un changement d’époque, un changement radical même. On peut le voir comme un danger ou comme un appel. Certains prétendent réparer l’Église. Mais c’est Jésus qui répare ! La vraie question n’est pas de changer de système ou de méthode, mais comme le disait Jean Paul II, de « susciter un nouvel élan de sainteté ». Le vrai enjeu est que tous les chrétiens se laissent saisir et convertir par l’amour de Dieu.
L’autre source d’inspiration, pour moi, chez François de Sales, est qu’il a su reconnaître dans ce changement d’époque un appel de Dieu. Il a une expression étonnante : « Dieu est le Dieu du cœur de l’homme ». Dans ses relations, il développe une pastorale de l’amitié. Et je pense qu’aujourd’hui, c’est justement là que se joue l’évangélisation. François découvre que dans le cœur de tout homme, il y a une aspiration à plus, à Dieu. Il rejoint un propos de Benoît XVI soulignant ses raisons d’espérer : Dieu ne disparaît jamais ; même si nous l’abandonnons quelque temps, il revient toujours car le cœur de l’homme est fait pour Dieu.
Pour François de Sales, le Cœur du Christ parle à son cœur et son cœur parle au cœur de ses amis dont il élargit le cercle le plus possible. « Le cœur parle au cœur. » Et cela devient pour lui le lieu de la mission. Il développe une pastorale de l’amitié, de la cordialité.
C’est la même chose aujourd’hui. Personne en réalité en dehors de l’Église ne s’intéresse aux débats ecclésiaux internes. Les gens veulent connaître l’authenticité du message de l’Évangile, et savoir s’il répond à leur cœur. Un signe magnifique : le nombre de catéchumènes n’a jamais été aussi important. Les adolescents demandent le baptême en grand nombre ! Car dans le vide, on aspire à autre chose.
Ici, en Haute-Savoie, François de Sales est allé partout, dans le moindre village. On a essayé de l’assassiner plusieurs fois, il y a eu des calomnies terribles à son encontre dans tout le royaume, il souffrait physiquement depuis sa jeunesse mais il ne s’est jamais arrêté et il est mort d’épuisement.
Dans le diocèse, 400 ans après sa mort, je suis frappé de voir combien il est encore présent et fédérateur.
C’est une figure d’évêque courageux. Il refuse de devenir archevêque de Paris, de Lyon, d’être cardinal, par attachement à sa terre et aux gens vers qui Dieu l’a envoyé.
Chez François de Sales, il y a toute la matière pour répondre aux défis contemporains.
Propos recueillis par Laurence de Louvencourt