Il n’aura échappé à personne que le pape François a béatifié, ce dimanche 19 octobre, le pape Paul VI. Il n’aura échappé à personne, non plus, que le synode aura subi cette semaine quelques remous. Un journaliste m’interrogeait ainsi : « Que pensez-vous du revirement au Synode ? » Mais il n’y a pas eu de revirement ! Un revirement, c’est un changement après une décision. Y avait-il eu décision ? Y avait-il annonces officielles ? Non. On n’a pas voulu laisser les pères synodaux réfléchir posément… on a voulu anticiper leurs décisions, leurs conclusions… on a voulu voir dans le document « État des lieux » diffusée ce lundi 13 octobre des avancées magistérielles considérables alors que le but de ce document à mi-parcours, annoncé pourtant, n’était pas celui-là. Et il y aurait encore beaucoup à dire.
Mais revenons à Paul VI. C’est courageux, de la part du pape François, de le béatifier, car certains y verront un flou supplémentaire quand d’autres y verront d’emblée une régression ou au contraire une affirmation intangible des principes. Mais alors pourquoi est-ce courageux ? Parce qu’au-delà de la question des divorcés remariés qui devait prendre tout le débat ; au-delà de la préparation au mariage tant interrogée et valorisée pendant ce synode – et dont personne ne parle pourtant ; au-delà des questions d’homosexualité, il est une autre question abordée clairement ces derniers jours, et dont, là aussi, pratiquement aucun média ne s’est fait l’écho, du moins en France : les méthodes naturelles de régulation de naissance. Et pourtant, le cardinal Vingt-Trois lui-même a fait une intervention remarquée à ce sujet marquant la nécessité pour l’Église de redécouvrir ce message et de le porter au monde (7e congrégation générale réunie le jeudi 9 octobre).
Quelle mentalité le synode a-t-il dénoncée si ce n’est celle qui tend à faire de l’homme un animal comme les autres ? On refuse de plus en plus la durée, l’engagement, la réflexion, et l’homme se réduit progressivement à ses pulsions animales, son affect (je ne parle même plus d’affectivité). Contrairement à ce que beaucoup de nos contemporains croient, l’Église défend la sexualité en toutes ces dimensions humaines, puisque, comme le disait Paul VI, « l’homme ne peut trouver le vrai bonheur, auquel il aspire de tout son être, que dans le respect des lois inscrites par Dieu dans sa nature et qu’il doit observer avec intelligence et amour » (Paul VI, Humanae Vitae, n°31). L’Église n’est pas dans un mépris de l’homme et de la sexualité, bien au contraire !
Mais aujourd’hui, qui d’autre qu’elle dira que l’on a séparé, il y a près de 40 ans avec la contraception, la sexualité de la génitalité ? Qui d’autre qu’elle dira qu’aujourd’hui, et de manière plus dramatique encore, on veut séparer la sexualité de la conjugalité, c’est-à-dire de l’amour même au sein du couple ? On découpe l’acte sexuel, plutôt que de le vivre dans son unité.
Si Dieu a voulu sauver l’homme par son humanité même, c’est bien pour nous montrer qu’il assume cette chair, ce corps, qui est le nôtre. Ce corps dit quelque chose de notre attachement à notre humanité, mais aussi à Dieu. Là encore, Paul VI l’exprimait très justement : « User du don de l’amour conjugal en respectant les lois du processus de la génération, c’est reconnaître que nous ne sommes pas les maîtres des sources de la vie humaine, mais plutôt les ministres du dessein établi par le Créateur. De même, en effet, que l’homme n’a pas sur son corps en général un pouvoir illimité, de même il ne l’a pas, pour une raison particulière, sur ses facultés de génération en tant que telles, à cause de leur ordination intrinsèque à susciter la vie, dont Dieu est le principe. « La vie humaine est sacrée, rappelait Jean XXIII ; des son origine, elle engage directement l’action créatrice de Dieu ». » (Paul VI, Humanae Vitae, n°13).
En promouvant les méthodes naturelles, l’Église ne veut pas une abolition de la soi-disant liberté de l’homme. Bien au contraire, puisque cela « signifie connaissance et respect des fonctions (de la sexualité) : l’intelligence découvre dans le pouvoir de donner la vie, des lois biologiques qui font partie de la personne humaine. Par rapport aux tendances de l’instinct et des passions (cela) signifie la nécessaire maîtrise que la raison et la volonté doivent exercer sur elles. » (Paul VI, Humanae Vitae, n° 10). Dieu assume notre sexualité et nous parle à travers elle !
On voit alors combien l’Église fait la différence entre une relation sexuelle et un amour conjugal. Dans la relation sexuelle, on n’aime pas l’autre dans sa totalité, mais seulement son corps. Dans l’union conjugale, on aime l’autre totalement, d’abord pour son cœur et jusque dans son corps. Ce qui est évidemment totalement différent ; et du même coup, on ne peut rompre sans causer à son cœur une certaine souffrance. Vous voyez ainsi combien l’union sexuelle est faite pour s’incarner dans une relation stable et durable.
L’Église a approfondi son discours et a mieux perçu avec le temps ces deux finalités de l’union sexuelle entre l’homme et la femme : leur amour mutuel grandit à travers cette union des corps, tout en rappelant que le mariage et l’amour conjugal sont donc aussi ordonnés par leur nature à la procréation et à l’éducation des enfants. De fait, les enfants sont le don « le plus excellent » du mariage et ils contribuent grandement au bien des parents eux-mêmes, comme le rappelait déjà le Concile Vatican II (Gaudium et Spes, n°8).
Depuis quelques décennies, les recherches scientifiques ont permis d’élaborer la pilule, le préservatif, et d’autres encore, et la perspective excitante de pouvoir avoir des relations sexuelles en toute liberté, c’est-à-dire sans engager la naissance possible d’un enfant, avait suscité la quasi-unanimité du monde occidental, y compris de la grande majorité de l’épiscopat à l’époque. Paul VI avait eu ce courage d’aller à contre-courant, y compris à l’intérieur même de l’Église, pour crier au monde cette évidence qui ne l’est plus : je ne fais pas ce que je veux de mon corps. Pourquoi la contraception n’est-elle pas bonne pour deux époux mariés ? Ne pouvait-on pas admettre que la finalité de la procréation concerne l’ensemble de la vie conjugale plutôt que chacun de ses actes, c’est-à-dire que le couple en général est ouvert à la vie et non pas chacun de ses actes ? Le moment n’était-il pas venu pour l’homme de confier à sa raison et à sa volonté, plutôt qu’aux rythmes naturels, biologiques, le soin de régler sa natalité ? Mais pour Paul VI, c’est en sauvegardant ses deux aspects essentiels, union et procréation, que l’acte conjugal conserve intégralement le sens de mutuel et véritable amour et son ordination à la très haute vocation de l’homme à la fidélité, et donc à la paternité.
C’est un chemin à parcourir quand il s’agit de maîtriser ses pulsions et d’apprendre à deux à s’attendre, à faire grandir le désir, à se parler pour se donner l’un à l’autre et vivre davantage la tendresse et le respect filial pour la beauté du don de Dieu à travers la sexualité. L’appel de Dieu sur le couple tel que l’Église le présente, s’il est plus exigeant, oblige en quelque sorte à un vrai dialogue dans le couple, mais comporte aussi une harmonie plus profonde, un plaisir plus grand et un fruit plus beau. S’il est bien l’occasion de faire l’expérience de la grâce de Dieu au sein du mariage, le Synode a voulu se ressaisir fortement de cette question : la béatification de Paul VI en sera un des signes les plus manifestes.
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