La dernière fois qu’Il est vivant! a rencontré Jean Vanier, c’était en 2018. Nous lui avions donné la parole alors que les états généraux de la bioéthique étaient en cours. Cet entretien est empreint de la sagesse de ce très grand homme.
« Quelques points nourrissent ma méditation :
- Dans notre monde, la séparation des riches et des pauvres ne cesse de s’accentuer. Et quand je dis “pauvres”, je parle de tous les humiliés.
- Toute personne est précieuse et nous faisons tous partie d’une grande famille humaine. Et qu’est-ce qui fait la préciosité de chaque être humain ? C’est ce que j’appelle l’innocence primale. Chaque être est précieux dès le premier instant. Il s’agit d’aider chacun à retrouver cette innocence, souvent très cachée par les souffrances, les brisures, les difficultés de toutes sortes de la vie.
- Un grand nombre de jeunes qui viennent comme volontaires civiques à l’Arche ont été blessés dès l’enfance au sein de la famille. Ces jeunes sont comme déracinés.
- Beaucoup de jeunes par ailleurs aspirent profondément à une nouvelle forme de vie communautaire, ouverte sur le monde. Cette nécessité de découvrir une nouvelle vision de la communauté humaine se manifeste partout : dès l’école, qui est le lieu de la relation avec l’autre et non celui de la réussite ; mais aussi dans l’entreprise. Aider les chefs d’entreprise à faire de leur entreprise une communauté humaine, où chacun est respecté en tant que personne et a une mission, est une urgence.
- La personne avec un handicap n’est pas tant un drame familial qu’une source de vie. Beaucoup ont encore du mal à l’entendre. Lors de rencontres avec des pères d’enfants handicapés, certains ressortent en pleurs car ils n’avaient pas réalisé jusqu’ici quel trésor était leur enfant porteur de handicap, au-delà de toutes les difficultés de sa vie au quotidien.
- Dans notre société dominée par la recherche de pouvoir, un grand mouvement est en train de naître autour de la fragilité. Certains ont compris que devenir humain, c’est découvrir qu’on est vulnérable.
Créer de petites communautés et cultiver la rencontre
- La société deviendra plus humaine si on crée des communautés qui aident les gens à découvrir ce que c’est que d’être humain. Être humain, c’est savoir rencontrer l’autre. C’est le cœur de tout. En Australie, une responsable à l’Arche qui travaillait auparavant auprès des prostitués découvre un jour un jeune homme qu’elle connaissait en train de mourir d’une overdose. Les dernières paroles de ce jeune ont été : « Tu as toujours voulu me changer. Tu n’as jamais voulu me rencontrer. » Rencontrer, c’est dire à l’autre : « Tu as quelque chose à m’apporter. Tu es plus beau que tu n’oses le croire. » C’est aider les personnes à découvrir ce qui est beau dans leur humanité, ce qu’il y a de plus beau en elles.
- La vocation d’une communauté n’est pas d’être “sécuritaire”; à l’inverse, elle est là pour nous aider à nous libérer, à prendre des responsabilités dans le monde.
- Luttons toujours pour rencontrer des gens que l’on rejette.
- Nous sommes au seuil d’un nouveau monde. Aussi, redécouvrir la rencontre de personne à personne est essentiel. Il nous faut recréer des petites communautés. Un penseur a dit : « Quand c’est petit, je connais ton nom. Quand c’est grand, je connais ton rôle. » C’est tellement juste ! Nous nous sommes toujours battus, à l’Arche, pour rester de petites communautés, afin que chaque personne ait sa place, se sache aimée.
- Redécouvrir la beauté de la rencontre, revenir à cette beauté nous aidera à ne pas nous laisser entraîner dans une spirale technologique vertigineuse. On veut mettre des robots dans les hôpitaux, pour remplacer les aides-soignantes. Mais ce n’est pas la même chose !
- Heureusement, on voit aujourd’hui que des choses bougent. Comme tout ce qui émerge autour de l’écologie et de tous ces mouvements qui s’intéressent au making more human. De belles initiatives apparaissent aussi autour des plus démunis. Une campagne du Secours catholique disait : « Ne plus “faire pour” mais “faire avec”. » C’est très beau. Le pape François nous appelle sans cesse à la culture de la rencontre. C’est la clé. La rencontre nous pousse à dépasser notre peur de l’autre, et elle suppose de l’humilité. Pour être humble, il nous faut regarder Jésus qui se met à genoux pour nous laver les pieds. Jésus doux et humble qui lave les pieds pour aider les gens à se relever.
« La vie est bien au-delà des clivages! »
- L’archevêque de Chicago dit : « L’avortement est un acte grave. Mais ce qui est grave aussi, c’est de ne pas nourrir la vie. Toute la vie ! » Autrement dit, il ne s’agit pas d’un côté d’interdire l’avortement et de l’autre, d’oublier de s’occuper des gens de la rue. Le plus grand péché est peut-être d’étouffer la vie. Il faut absolument dépasser les clivages. En France, dès que l’on parle de la vie, on est considéré comme quelqu’un de droite ! Nous sommes appelés à redécouvrir un sens de la vie qui n’est pas juste politique. L’essentiel est de se mettre au service de la vie. Et d’être des vivants ! À l’Arche, nous sommes des “gens de la vie” : chacun est précieux, a sa place et sa mission, et cela aide à construire l’unité. Soyons, chacun à notre niveau, des artisans d’unité.
Et écoutons les artisans de paix. Des personnes se lèvent, partout, qui cherchent à faire tomber les murs.
« Comme un tout petit filet, un monde nouveau jaillit! »
- Le pauvre nous apprend à aimer. C’est tout. Et aimer, ce n’est pas faire des choses pour l’autre mais lui faire découvrir par notre écoute combien il est important. Je suis toujours touché par les premières paroles de Jésus après la Résurrection : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Tout le monde pleure mais le plus souvent, les larmes sont invisibles. Pour échapper à nos blessures, nous entrons parfois dans des croisades, qui sont toujours dangereuses. Ce n’est pas la bonne voie.
- Nous sommes à un tournant de l’histoire de l’humanité. Un tournant phénoménal. Il y a quelque chose de fini et autre chose est en train de naître. Nous vivons une époque extraordinaire où les hommes découvrent leur humanité commune, au-delà de leur appartenance culturelle ou religieuse.
- Une espérance apparaît. C’est un tout petit filet dans une masse énorme de recherche de pouvoir, de violence, de protection, de peurs. Mais ce petit filet est bien là. Sachons le percevoir, l’encourager et l’aider à grandir. Pas de croisade. Découvrons que nous serons changés par le pauvre, l’humilié. Et écoutons Jésus nous dire : « Ce que j’ai fait pour vous, faites-le à votre tour pour les autres. » » Propos recueillis par Laurence de Louvencourt
Chaque trimestre, le magazine Il est vivant! donne la parole à des grands témoins comme Jean Vanier. Pour 29 euros par an, retrouvez tout le riche contenu de ce magazine ! Pour s’abonner, c’est ici