Pour Florence de Leyritz, coach de dirigeants, « développer une vision pastorale est la clé pour faire émerger des réalités nouvelles dans l’Eglise. » Avec Marc, son mari, Florence a fondé Alpha en France il y a 14 ans. Tous deux animent des sessions de leadership pour des laïcs, prêtres et évêques.
A Londres. Entretien par Claire Villemain
[paru dans le n° de Juillet-Août]
Il est vivant Les protestants ont, depuis longtemps, intégré les méthodes du leadership de l’entreprise dans leur pastorale. Comment l’Eglise catholique se situe-t-elle sur cette question ?
Florence de Leyritz Saint Benoît a précédé ce sujet de plusieurs siècles. Il y a, dans sa règle, de réels principes de gouvernance, avec des processus électifs, une démocratie participative, etc. L’aspect de gouvernance pastorale fait partie d’un vrai patrimoine que l’Eglise doit retrouver, réinvestir et se réapproprier. Dans l’approche actuelle, et c’est ce qui est ressorti de ce forum de leadership à Londres, on reconsidère le leadership au sens de l’influence chrétienne. Il y a une vision unifiée puisque tout chrétien est appelé à exercer une influence pour le bien commun, dans sa mission d’Eglise, dans sa famille, dans la cité.
Que signifient ces expressions de « leadership chrétien », ou de « gouvernance pastorale » ?
Le leadership chrétien est cette façon dont une personne, à partir d’une vision donnée par Dieu, exerce une influence sur une portion du peuple de Dieu qui lui est confiée et qui, connaissant des crises dans son développement, développe d’autres disciples missionnaires. Cette gouvernance est ainsi liée un développement du responsable lui-même. On le voit bien chez Jean Paul II : dès son élection et Redemptoris Missio, il donne une vision sur son pontificat. Chez lui, la vision pastorale est intimement liée à la gouvernance pastorale. Raoul Follereau avait également une vision très nette de son œuvre. Si l’on regarde de près, la plupart des hommes et des femmes de Dieu qui ont fait bouger l’Eglise et le monde ont exercé une influence à travers le développement d’une vision pastorale.
L’Eglise, surtout dans la vieille Europe, connaît un déclin. La gouvernance pastorale de l’Eglise est-elle efficace ?
L’Eglise catholique n’est pas en retard sur ces questions. Il y a cependant un domaine dans lequel nous sommes peut-être moins « bons », c’est celui de la vision. Quand je suis curé de paroisse ou responsable d’aumônerie, est-ce que je demande au Seigneur une vision pastorale ? Suis-je capable de la recevoir, de la travailler avec mon équipe, et de donner un cap à ma communauté ? Cela change considérablement les choses. Nicky Gumbel, vicaire de la paroisse anglicane d’Holy Trinity Brompton et fondateur des parcours Alpha, disait il y a dix ans : « Si nous planifions la décroissance, nous l’aurons. Si nous développons une vision de croissance de notre église, nous connaîtrons cette croissance. » Et nous avons vu quelle croissance Alpha a rencontré en dix ou quinze ans. Quand nous pensons notre pastorale en termes de maintenance ou de décroissance, nous sommes sûrs de mourir à petit feu. En revanche, si nous portons un regard d’espérance et de saine croissance, nous voyons des choses merveilleuses se passer.
Quelles sont les grandes forces sur lesquelles l’Eglise peut s’appuyer pour grandir ?
La principale force de l’Eglise réside dans sa tradition et l’héritage de ses grands auteurs. Je pense aux travaux de Romano Guardini, qui est l’un des grands théologiens du XXe siècle, aux textes du Concile, et à Evangelii nuntiandi où Paul VI développe une vraie vision de croissance de l’Eglise. Nous nous appuyons largement sur cet héritage lors de nos séminaires de leadership.
Je crois qu’une grande force de notre Eglise, c’est l’humilité d’un grand nombre de responsables catholiques, qu’ils soient évêques, responsables laïcs de communautés. Regardez Jean Vanier, ou bien sûr Benoît XVI ou le pape François… Nous avons là des modèles de leaders incroyablement inspirants. En les regardant prier, en les écoutant, il y a déjà quelque chose de transformant par le modèle qui est donné.
Enfin, je crois que l’enracinement social et sociétal de l’Eglise, sa proximité avec les plus pauvres, lui donne un ancrage dans la réalité qui est une force en termes de gouvernance. C’est l’appel pressant que le pape François nous lance : « Sortez ! Allez aux périphéries de l’existence ! ». Dès que, dans l’Eglise, nous sommes en train de nous regarder nous-mêmes comme organisation à maintenir et à faire fonctionner, on perd le sens de notre mission. Quand nous sortons vers ceux qui ne sont pas dans l’Eglise, dès que l’on se pose cette question : « Vers qui nous envoies-tu ? », l’Eglise s’extraverti et retrouve le sens de sa finalité. Nous ne sommes pas notre propre finalité !
Qu’il soit prêtre ou laïc, quelles sont les qualités d’un bon responsable ?
La première est de se connaître lui-même, d’être capable de se conduire lui-même en embrassant et en acceptant son histoire, ses faiblesses, ses échecs, les forces et les dons que le Seigneur a mis en lui.
La deuxième est d’être capable de recevoir et de donner à son équipe la vision pour la mission qui lui est confiée et qu’il partage.
La troisième est de savoir discerner auprès de ceux qui lui sont confiés, les talents et les dons spirituels, ainsi que l’appel que Dieu fait à chacun.
La quatrième est de savoir gérer le changement et la transition. Nous vivons dans une période de changements accélérés. Un art de vivre le changement et de le faire vivre devient indispensable. Le changement est inconfortable, et créé beaucoup de résistance, en premier chez les leaders.
La dernière est l’ouverture au conflit. Être capable de sortir d’une culture un peu molle, où pour ne pas faire de peine on évite la discussion et les échanges. Il faut vivre le conflit de manière ouverte, saine, spontanée et rapide. Entrer dans une logique de feed-back en équipe et non dans le dos des gens, cultiver les vrais débats d’idées, voilà quelques clés pour une bonne dynamique d’équipe. La première responsabilité du disciple de Jésus est de faire grandir d’autres disciples eux-mêmes missionnaires. Ce n’est pas « mon » succès, mais ma joie sera de faire grandir d’autres. Pour cela, il faut développer une culture d’encouragement et de confiance, savoir dire merci, reconnaître et dire la compétence de tel ou tel.