Hubert de Torcy a fait partie du groupe de Français invités récemment par Mgr Dominique Rey à partir à la découverte d’initiatives d’évangélisation aux États-Unis. De très belles rencontres à la clé! Retour sur un voyage qui a suscité l’enthousiasme de ce missionnaire engagé.
Il y a eu cette rencontre avec Rick Warren, pasteur évangélique fondateur de la megachurch de Saddleback, près de Los Angeles (Californie), qui sert de modèle à de très nombreuses églises. Rick Warren est reconnu comme un leader parmi les leaders chez les évangéliques. J’ai été touché par la catholicité de son discours. On avait le sentiment d’être avec un frère catholique. Il nous a parlé des papes. Pour lui, Jean Paul II et Benoît XVI sont des figures intellectuelles hors normes, des théologiens admirables. Il a lu tout Jean Paul II et nous a affirmé que les trois livres de Benoît XVI sur Jésus étaient les meilleurs qu’il n’ait jamais lus sur le Christ. De la part d’un protestant ancré dans la Parole de Dieu, c’est assez intéressant ! Quant au pape François, il est pour lui LA figure du pasteur. « Quand on voit le pape François, on voit ce que devrait être un chrétien. »
Lui et son épouse ont été marqués et traversés même par la croix. L’un de leurs fils, atteints d’une maladie mentale, a fini par se suicider il y a deux ans. Il nous a parlé du sens de la croix d’une manière extraordinaire. Notamment cette très belle phrase : « Dans le jardin de Dieu, même les arbres brisés peuvent porter du fruit. » C’était un magnifique témoignage.
Ce qui m’a frappé, c’est son obsession de tout faire pour enlever les obstacles qui empêchent le plus grand nombre d’accéder au Christ, à sa Parole. Rick Warren lui-même est parti de rien. En apprenant qu’il voulait fonder une église, l’agent immobilier qui l’aidait à trouver un appartement lui a dit : « Moi, je n’aime pas l’Église, çà ne m’intéresse pas ! » « Justement, lui a-t-il répondu, je veux fonder une église pour les gens comme toi qui n’aime pas l’Église ! Est-ce que tu veux bien être mon premier membre ? » Et l’agent immobilier a accepté.
Dans sa pastorale, tout est axé sur cette obsession : lever tous les obstacles qui empêchent les personnes de venir à l’église. Cela se voit à tous les niveaux. Ainsi, à l’office du dimanche, sur la scène elle-même, il y a tout type de personnes : du plus classique au plus marginal. De ce fait, un gars qui arrive par exemple à l’église avec des tatouages, des piercings, etc., se sent chez lui. Rick Warren est arrivé lui-même, non pas dans une tenue vestimentaire particulière ou des ornements spécifiques, mais avec un jean et une simple chemise à carreaux. C’est une excellente première marche. Bien sûr, il ne s’agit pas –et il nous l’a dit- de tout changer dans notre Église. Mais cette première marche est une chance pour accueillir ceux qui sont loin, et même très loin. Ils se sentent ainsi accueillis et en général, n’ayant en arrivant aucun point de repère du monde chrétien, cela leur permet d’être moins perdus de prime abord. Rick Warren nous a dit : « Dans l’Eglise catholique, vous êtes les spécialistes du mystère. » C’était à la fois l’expression d’une forme d’admiration et en même temps, une petite pointe d’humour. Je l’ai traduit par : « Dans l’Église catholique, expliquez un peu plus les mystères, sinon, personne n’y comprend plus rien ! »
Autre exemple : il y a tellement de monde le dimanche à l’office, que les gens mettent parfois 30 minutes à regagner leurs voitures ! L’église a donc mis en place un système de navettes afin de leur éviter de perdre trop de temps, et elle a même financé la construction d’un pont afin d’éviter les embouteillages ! Cela a coûté 6 millions de dollars, qu’ils ont trouvés sans problème.
C’est très incarné. Leur pragmatisme est étonnant.
Tout au long de ce voyage, en rencontrant aussi bien des leaders évangéliques que catholiques, j’ai eu l’impression de voir en positif, les défauts que l’on peut noter chez nous.
Parmi ces qualités :
- Le pragmatisme. Regarder ce qui marche ; ce qui ne fonctionne pas, je l’arrête ; et ce qui fonctionne, je cherche sans cesse à l’améliorer. C’est également une obsession chez les chrétiens américains. Ils sont toujours en train de se demander : comment on pourrait faire mieux ? (cf. l’histoire du pont). Ils ont de ce fait mis au point des instruments de mesure : enquêtes, études, vérifications, etc.
- Le professionnalisme. Nous avons rencontré le directeur de la communication du diocèse de Los Angeles. C’est une très grosse pointure, il a un pedigree impressionnant. En un an et demi, le diocèse a fait grâce à lui des pas de géant en matière de communication. Rien que le compte Twitter de l’archevêque de Los Angeles compte 1 million 500 000 followers. Cet homme a proposé aux paroisses une mutualisation des moyens, leur offrant des services d’une qualité exceptionnelle en matière de relation presse, site internet, graphisme, affiches, etc. Les paroisses ont très rapidement compris l’intérêt d’une telle mutualisation des moyens et en deux ans à peine, elles sont entrées dans l’élan que ce directeur de communication a suscité au service de l’annonce de l’Evangile. En France, c’est beaucoup plus compliqué. Je le constate au quotidien avec L’1visible qui voudrait justement être un outil d’annonce professionnel, mutualisé. Mais en général, on préfère fabriquer son propre outil, moins cher, avec des bénévoles, même si on se doute que son efficacité sera moindre. Le professionnalisme américain se manifeste dans le recrutement de personnes à haut potentiel, mais aussi dans le choix des moyens utilisés, dans la recherche de fonds (cf. plus loin).
- Le fonctionnement en réseau. A la paroisse catholique de Santa Monica, nous avons rencontré deux catholiques qui ont fondé un cabinet d’audit destiné à identifier ce qui, au sein des paroisses, fonctionnait ou pas. Leur panel a porté sur 250 paroisses. Ils ont fait se rencontrer les équipes, les pasteurs pour mettre en commun les meilleures pratiques, échanger, s’améliorer les uns par les autres, travailler sans cesse en réseau. Il ne s’agit pas, indéfiniment, comme souvent en France, de réinventer son propre parcours, sa propre pastorale, sa propre vision, etc, mais de mettre en commun. « La fertilisation croisée ! » dirait Mgr Rey.
- Le rapport à l’argent. Ils n’ont aucun complexe par rapport à l’argent. Ce n’est jamais un obstacle. Cela reste un simple moyen au service de la mission. Un exemple. Le diocèse d’Orange a racheté il y a trois ans un campus immense, fruit de quarante années de travail d’une église évangélique qui a fait faillite, en vue de l’évangélisation. Pour trouver l’argent nécessaire, 50 millions de dollars pour l’achat et 30 millions de dollars pour les travaux, le diocèse a mis au point une campagne de recherche de fonds à l’aide notamment de vidéos très stimulantes. Et l’argent a été trouvé. De même, Rick Warren a construit un magnifique complexe pour les enfants, très bien conçu. Pour réaliser ce projet, il n’a pas dit : « On va construire des bâtiments » mais « On va faire un immense cadeau à vos enfants, afin qu’ils puissent rencontrer Jésus ». Ainsi c’est toujours la vision pastorale qui prime et non l’argent. En France, très souvent, c’est l’inverse : on considère le manque de moyens et du coup, on ne fait rien. C’est l’économe qui a le pouvoir, qui sait ce qu’il faut faire ou pas. Là-bas, jamais, cela ne se passe comme ça ! De ce fait, les chrétiens américains ont une ambition qui nous ferait tous frémir ! Quand ils ont construit la cathédrale de Los Angeles, cela a coûté 235 millions de dollars. Et en rien, cette considération n’a été pour eux un obstacle !
- De ce fait, on ressent partout un élan, un formidable dynamisme missionnaire.
Nous avons beaucoup apprendre de nos frères américains. C’est une invitation à une vraie conversion culturelle, c’est évident, mais aussi pastorale. A revoir nos modes de fonctionnement. Personnellement, cette visite m’a beaucoup conforté. A Hollywood, nous avons fait aussi de magnifiques rencontres de personnes qui cherchent à évangéliser par le cinéma. L’intervention de Barbara Nicolosi notamment m’a profondément marqué. Elle a eu avec nous un langage de vérité très décapant. « Regardez les cathédrales du Moyen Âge et les ‘horreurs’ qu’on est capable de construire maintenant parfois ; comment se fait-il que l’homme a été capable de composer pour la gloire de Dieu le sublime Messie de Haendel, et maintenant que nous créions des chants très bas de gamme ; arrêtons ! Soyons pro, très exigeants sur la qualité, et mettons les moyens ! »
« Rien n’est trop beau pour le bon Dieu », disait le Curé d’Ars en son temps.
Ces rencontres m’ont beaucoup encouragé à être ambitieux pour la mission, et à développer mes contacts avec les Américains.
Les propos d’un Français qui vit aux États-Unis depuis très longtemps m’ont beaucoup éclairé également. Il est important de se méfier de l’enthousiasme du Français qui découvre toutes ses « success stories » sans voir les 40 années de travail, de galère vécues pour y parvenir. Le Français, très vite, va idéologiser et se dit : « C’est génial, c’est ça qu’il nous faut ! » Et on cherche à reproduire le produit fini qu’on constate à la fin de l’aventure. OK, mais alors soyons aussi pragmatiques et réalistes et commençons à construire petites pierres par petites pierres, en mesurant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ne mettons pas d’emblée la barre trop haut et ne voulons pas « tros gros, trop vite » ! Acceptons d’entrer dans un processus lent. Entrons dans un vrai pragmatisme qui nous évitera bien des désillusions et nous donnera à l’inverse la possibilité d’aller « au bout de nos rêves » d’évangélisation.
Propos recueillis par Laurence de Louvencourt