C’est la rentrée ! Un état des lieux de l’école s’impose. Et qu’en est-il de l’école catholique ? Quelle est sa mission aujourd’hui ? N’a-t-elle pas perdu son identité ?
Les réponses d’Éric de Labarre, secrétaire général de l’enseignement catholique en France.
Ilestvivant ! Quand on parle d’école, en France, il semble parfois que « rien ne va plus »…
Éric de Labarre L’école française rencontre des difficultés, on ne peut le nier. Difficultés aggravées, à partir de 2008-2009, par une perte de confiance de bon nombre d’acteurs du système éducatif.
IEV Comment l’expliquer ?
Éric de Labarre Deux éléments se sont entrechoqués : d’un côté, une véritable volonté de réformer et de l’autre, un matraquage sur les moyens. De surcroît, quand la façon de présenter les choses est assez agressive (« Nous allons remettre les professeurs au travail »), cela ne peut pas marcher. Ce n’est pas en agressant un corps social qu’on le fait bouger.
IEV Dans le Manifeste de l’école catholique au service de la Nation que vous avez publié en début d’année, vous citez quelques préalables à la réussite d’une réforme, pourquoi ?
Éric de Labarre Ce sont des mises en garde élaborées au regard de l’expérience des réformes précédentes. Nous voulons simplement faire passer ce message aux politiques : « Si vous voulez réussir une réforme en matière de système éducatif, il vous faut impérativement tenir compte d’un certain nombre de données. »
IEV Quelles sont ces données ?
Éric de Labarre En premier lieu, nous évoquons une nécessaire politique pour l’égalité des chances. En d’autres termes, mettre plus de moyens là où il y a plus de besoins. C’est la priorité des priorités. Ensuite, il s’agit de préparer cette réforme avec toutes les forces vives du système éducatif. Un autre élément essentiel est le respect de l’autonomie des établissements et des équipes éducatives. Il s’agit de dire aux différents acteurs : « Vous avez dans votre établissement des jeunes dont vous avez la responsabilité et que vous devez mener à la réussite scolaire. Faites ce qu’il faut pour y arriver. Nous vous faisons confiance. Allez-y ! » Bien sûr, cela suppose des évaluations régulières et des ajustements éventuels en fonction des résultats. C’est ni plus ni moins que la mise en oeuvre de notre leitmotiv : « Liberté et responsabilité. »
IEV : Dans ce manifeste, vous insistez aussi sur l’importance de la personnalisation des parcours…
Éric de Labarre En effet. Depuis le dixneuvième siècle, l’école à la française fonctionne comme une usine à tri : à force d’utiliser des tamis de plus en plus fins, on parviendrait à la quintessence de l’intelligence permettant d’accéder aux plus grandes écoles. Ce système éducatif a été construit au service d’une société hiérarchisée. Aujourd’hui, les besoins sont inverses : il s’agit de proposer des parcours suffisamment adaptés aux différents types d’intelligence, afin de permettre à chaque jeune d’aller le plus loin possible dans la mise en oeuvre de ses talents.
IEV : Selon vous, quelle est la vocation de l’école, et de l’école catholique en particulier ?
Éric de Labarre La vocation de toute école, et de l’école catholique en particulier, est de faire en sorte que tous les jeunes issus de nos établissements marchent sur leurs deux jambes. Qu’ils soient des personnes prenant la vie à bras le corps, prêtes à mettre leurs talents au service des autres. C’est le message que nous transmettons aux jeunes : « Vous devez réussir scolairement non pas pour vous d’abord mais parce qu’on attend beaucoup de vous pour la société. »
Je constate avec joie que les jeunes d’aujourd’hui sont infiniment plus ouverts à ce discours que ne l’étaient les générations précédentes. A l’âge où j’étais étudiant ou tout juste entré dans la vie professionnelle aucun de ceux de ma génération n’aurait imaginer quitter sa profession pendant un ou deux ans pour se mettre au service des autres ! Il me semble qu’aujourd’hui les jeunes, de tous milieux sociaux confondus, pour peu qu’on aille les chercher, sont prêts à se donner. Mais cela suppose qu’on leur dise : « On a besoin de vous. » Si à l’inverse, on suggère qu’ils sont trop nombreux dans leur classe d’âge et que le marché du travail ne peut les absorber tous, il devient difficile pour eux d’imaginer un avenir.
IEV Les professeurs et les chefs d’établissement ont un rôle déterminant vis-à-vis des élèves. Quel est selon vous actuellement leur état d’esprit ?
Éric de Labarre La clé de la réussite de l’éducation tient surtout dans une bonne relation école-famille. Les difficultés apparaissent quand cette relation n’est pas correctement établie.
Les chefs d’établissement et professeurs de l’enseignement catholique ont, je trouve, une capacité à l’innovation et à l’adaptation assez extraordinaire, qui ne suppose pas d’abord des moyens supplémentaires. Et pour la plupart, les enseignants aiment leurs élèves et leur métier qui consiste à transmettre des savoirs, à aider les jeunes à grandir. Avec des résultats parfois extraordinaires. Certains enseignants cependant ressentent une profonde fatigue : quand vous avez derrière vous 30 ans de carrière, ce n’est pas forcément évident de vivre sereinement les 10 à 15 dernières années. De plus, actuellement, ne leur est offert que l’unique perspective de demeurer professeur toute leur vie, à quelques rares exceptions près. C’est un vrai problème
IEV Selon vous, qu’est-ce qu’un bon chef d’établissement dans l’enseignement catholique ?
Éric de Labarre Un bon professionnel de l’éducation qui est à l’aise dans sa foi. Un chef d’établissement catholique reçoit une mission ecclésiale et une responsabilité pastorale. On ne peut pas être pasteur d’un troupeau dans une école qui est un service d’Eglise si on n’est pas soi-même sûr de sa foi. Je ne dis pas qu’ils sont tous dans ce cas. Mais ce n’est pas tout de dire : « Il ne faut recruter que de bons professionnels de l’éducation sûrs de leur foi. » Encore faut-il les trouver ! Et aujourd’hui, cela n’est pas si simple ! Il faut les repérer, leur donner le temps de mûrir, les former. De plus, le nombre de personnes disponibles n’est pas suffisant.
IEV Certains reprochent à l’enseignement catholique de ne plus l’être assez, que leur répondez-vous ?
Éric de Labarre Je leur demande : « Qu’entendez-vous par école catholique ? Qu’est-ce que c’est, pour vous ? » S’ils me répondent : « C’est un établissement qui annonce la foi en Jésus Christ », je leur suggère de choisir pour leurs enfants un très bon établissement public et de les confier à une très bonne aumônerie. L’école catholique, c’est tout autre chose : c’est un établissement scolaire dans lequel l’acte d’enseignement et d’éducation est irrigué par la foi en Jésus Christ et le message évangélique. L’école catholique a donc pour vocation d’accueillir l’ensemble des jeunes de ce pays sans distinction de confession religieuse. Nous nous adressons à tous parce que nous pensons que le message évangélique est pour tous.
D’un point de vue stratégique, l’école catholique a été placée depuis 20 ou 30 ans devant un choix : proposer soit une école pour les catholiques, soit une école pour tous, afin d’irriguer toute la société du message évangélique.
Les évêques ont clairement opté pour cette deuxième voie. De même, quand Jean Baptiste de la Salle scolarisait des enfants des rues de Reims, il ne s’est jamais posé la question de savoir si ces enfants étaient de bons chrétiens ! Pour moi, il n’y a donc pas de dilution de l’école catholique aujourd’hui par rapport à ce qu’elle a pu être autrefois dans un temps rêvé contrairement à ce que l’on entend parfois.
IEV Mais un acte d’enseignement « irrigué par le message évangélique » est-il possible avec un corps professoral globalement peu croyant ?
Éric de Labarre Le propre d’une école catholique, c’est d’abord d’être une école. Le rôle de l’école, et c’est toujours comme cela que l’Eglise a conçu son rôle, c’est d’abord de former des jeunes. Cela suppose avant tout de recruter de bons professionnels de l’éducation.
De plus, l’école catholique est à l’image de la société : je mets au défi quiconque de trouver aujourd’hui 135 000 professeurs qui fréquentent les églises tous les dimanches. Ce n’est pas sérieux.
Mais pour qu’une école catholique puisse mettre en oeuvre un projet éducatif enraciné dans l’Évangile, il faut bien sûr qu’un certain nombre de personnes portent cette préoccupation : à l’évidence et de façon inconditionnelle le chef d’établissement. Il est évidemment souhaitable qu’il y ait aussi le plus de professeurs possibles à l’aise dans leur foi. Mais toute une génération s’est éloignée de l’Eglise. C’est un fait. Heureusement, depuis une dizaine d’années, nous constatons que le jeune corps professoral est infiniment plus ouvert à nos problématiques et à la question de l’annonce de la foi. Ils connaissent mal l’Eglise. Quand on leur explique que l’amour qu’ils ont pour les enfants et que leur goût pour la transmission des savoirs sont enracinés dans une anthropologie de la personne elle-même fondée sur l’Évangile, cela leur ouvre des horizons extraordinaires. Notre rôle est d’être école catholique pour les jeunes mais aussi pour les adultes que nous accueillons.
IEV Certains font le choix d’une école hors contrat, qu’en pensez-vous ?
Éric de Labarre L’école catholique est fondée sur le respect de la liberté de conscience et de la liberté d’enseignement. Je ne me sens pas en capacité et en droit de refuser à d’autres ce que je réclame pour moi. Mais à des parents désireux de créer une école hors contrat, je demande : « Quel est votre objectif ? Est-ce vraiment pour permettre à vos enfants de recevoir une éducation de la foi ? Si oui, il existe sans doute d’autres solutions moins coûteuses. Mais n’avez-vous pas une autre raison ? Est-ce pour créer une école de “ l’entre-soi ” ? Si c’est cela, effectivement, ce n’est pas le projet que nous portons dans l’école catholique, service d’Eglise, en France. L’école catholique n’est pas faite pour protéger mais pour préparer les jeunes à vivre dans un monde de plus en plus exposé. »
IEV Dans le passé, des établissements se sont créés en réaction à une certaine dilution du message évangélique dans les écoles dites catholiques…
Éric de Labarre C’est bien pour cela que, quoi qu’il arrive, il faut protéger la liberté d’enseignement et la liberté de conscience. Sans elles, une Anne-Marie Javouhey n’aurait jamais pu fonder d’établissement et les établissements des soeurs de Cluny n’existeraient pas. Anne-Marie Javouhey a dû surmonter bien des résistances, y compris au sein de l’Eglise ellemême. Il est bon également de laisser certains membres de la communauté chrétienne prendre l’initiative de créer des écoles, mais à la condition que les uns ne cherchent pas à donner de leçon aux autres. Je ne dis pas que ce que nous faisons est parfait mais je prétends que certains pourraient sans doute être un peu plus humbles…
IEV L’école catholique en France a donc selon vous de beaux jours devant elle ?
Éric de Labarre Le constat qui consiste à dire : « La situation de l’école catholique est catastrophique » est un acte de désespérance qui ne peut rien produire de bon. Il ne s’agit pas non plus pour moi de dresser un tableau idyllique de l’école catholique : il y a de belles choses, d’autres à améliorer ou à réformer, comme toujours. Mais l’enseignement catholique a entrepris une oeuvre de renouveau intérieur qui demandera une génération. Le travail est en cours. Il ne peut être réalisé que si on pose un acte d’espérance : non, tout n’est pas foutu, les jeunes, les professeurs, les éducateurs peuvent avancer, faire un bout de chemin avec l’Eglise dans nos établissements.