A l’école de saint Joseph

« Être réactif… ou proactif ?
Marié, père de 6 enfants, Xavier Muller est philosophe, enseignant et coach. Il décrypte ici avec finesse ce que manifeste les façons d’agir de saint Joseph dans les situations délicates auxquelles il a été confronté tout au long de sa vie aux côtés de Jésus et de Marie. Un bel enseignement pour nous !

Tout être humain est confronté à des événements qu’il ne comprend pas et qui viennent heurter ses désirs les plus profonds, ses rêves et ses projets de vie. Saint Joseph lui-même a fait cette douloureuse expérience. Aussi, lorsque, comme lui, nous cherchons à accomplir pleinement notre vie sur le plan humain et chrétien, deux questions se posent à nous :
– Comment faire face aux contradictions ? Comment les vivre et les surmonter ?
– Comment faire la volonté de Dieu, en particulier à travers les épreuves ?

Comment affronter
les contradictions ?
Pour aborder cette question, la psychologie nous apporte un guide précieux : la distinction entre réactivité et proactivité.
Dans une vie fondée sur la réactivité, la personne se laisse mener par les événements ou les émotions qu’ils suscitent en elle. « Il n’y a pas de vie favorable pour celui qui ne sait pas où il va » (Sénèque). Celui qui se laisse seulement guider par les événements ne sait en effet pas où il va. Sans cesse ballotté au gré des aléas de la vie, il erre sans but.
À l’inverse, une vie proactive est une existence guidée par un objectif. « La particularité de l’être humain est qu’il ne peut vivre qu’en regardant vers l’avenir », écrivait Victor Frankl, célèbre psychiatre qui a fait l’expérience des camps de la mort et fondé un nouveau courant de psychologie. Martin Seligman, l’un des pionniers de la psychologie positive, le disait aussi à sa façon : « Les êtres humains sont tirés vers le futur. » « Là où il n’y a pas de vision, les hommes périssent », confirme d’ailleurs la Bible, dans le livre des Proverbes. Une vie proactive est une vie tirée en avant par un projet que l’on se donne. Tout être humain a besoin de sens (cf. Victor Frankl) et de donner une direction à sa vie. Dans une attitude proactive, notre vie est déterminée par nos valeurs, nos principes, notre relation à Dieu. Nos projets de vie naissent du plus profond de nous et nous permettent de construire notre vie.
Pour mieux comprendre cette distinction, nous pourrions imaginer les événements de notre vie représentés dans un cercle. Dans un grand cercle, il y aurait les événements qui ne dépendent pas de nous, sur lesquels nous n’avons pas de prise ; et dans un plus petit cercle, seraient regroupés les événements qui dépendent de nous, de notre liberté. Stephen Covey, qui utilise ce schéma, propose de nommer le grand cercle, « cercle de nos préoccupations », et le petit cercle, notre « zone d’influence ».
Or que se passe-t-il dans une vie réactive ? Nous nous concentrons sur nos préoccupations, des événements sur lesquelles nous n’avons pas de prise. Cela peut nous conduire parfois à nous positionner en victime. « Ah si ma femme, mon mari, mes enfants étaient comme si ou comme cela, si ma santé, le gouvernement… Ma vie serait extraordinaire ! »
Dans une vie proactive, à l’inverse, nous nous concentrons sur notre zone d’influence, sur les événements sur lesquels nous avons prise. Tout le challenge est pour nous d’apprendre à nous concentrer sur notre zone d’influence qui, ainsi, va s’élargir progressivement et avoir un impact de plus en plus grand sur notre vie, y compris sur des éléments qui, au départ, nous étaient inaccessibles.
Saint Joseph était-il réactif ou proactif ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’évoquer une troisième “zone”, celle de l’action, de la volonté de Dieu.

Accueillir la volonté de Dieu :
les dilemmes du croyant
Imaginons maintenant un deuxième schéma avec, au centre, notre zone d’influence qui relève de notre liberté, de notre volonté, et une deuxième zone, qui relève de l’action de Dieu, la zone de préoccupation des affaires de Dieu.
En tant que croyant, ne sommes-nous pas invités à être réactifs à la zone des préoccupations de Dieu ?
L’Évangile ne nous invite-t-il pas au lâcher prise, à l’abandon à la volonté de Dieu ? À renoncer à notre volonté propre pour accueillir la volonté de Dieu ? À vivre l’instant présent, à faire confiance à la Providence ? Saint Joseph n’est-il pas notre modèle en la matière ?
En résumé, est-ce que vis-à-vis de Dieu, nous n’avons pas à devenir réactif en nous accordant à sa volonté plutôt que proactif, en nous appuyant sur notre propre volonté ?
Si nous contemplons la vie de Joseph, nous découvrons en réalité qu’il a été proactif tant sur le plan humain que sur celui de la relation à Dieu. En effet, la première chose que l’on dit sur lui dans l’Évangile, c’est qu’il avait un projet : se marier avec Marie, fonder une famille, avoir un travail, s’installer… Dès le départ, c’est un homme qui agit.
Mais le projet de Joseph bute très vite sur un événement : Marie, sa fiancée, est enceinte. En l’apprenant, Joseph « décida de la répudier en secret ». Joseph décide, sans attendre indéfiniment un signe de Dieu, que Dieu lui parle. Dans la sphère d’influence qui est la sienne, et dans ce moment difficile, il sait prendre une décision. Et sa décision n’est pas une simple réaction : elle est guidée par sa vie intérieure la plus profonde, comme nous le révèle l’Évangile (« en secret »).
Après que Joseph a pris sa décision,
l’ange lui apparaît en songe. Le songe, c’est le clair-obscur de la nuit ; aussi, ce qui lui apparaît en songe devra être ratifié par Joseph au petit matin, librement. Non seulement Dieu respecte la liberté de Joseph, bien plus, il la sollicite. La volonté de Joseph consiste à choisir librement de reprendre à son compte la demande adressée par l’ange.
À travers cet épisode de la vie de Joseph, s’exprime toute la dynamique de la relation de l’homme à Dieu : la grâce ne supprime jamais la nature humaine mais elle la parfait et l’élève (saint Irénée, saint Thomas d’Aquin…).
Saint Maximilien définissait la sainteté ainsi : v (la volonté humaine) = V (la volonté de Dieu). En d’autres termes, la sainteté consiste à ce que ma volonté rejoigne celle de Dieu.
On pourrait penser que pour faire la volonté de Dieu, la nôtre doit disparaître complètement. L’exemple de saint Joseph nous dit tout l’inverse. Sa volonté ne diminue pas mais augmente pour pouvoir épouser librement la volonté de Dieu et mettre en œuvre ce qu’il lui demande. C’est ce que mettent en lumière les rares passages de l’Évangile qui l’évoquent. « L’ange dit… et Joseph… » Toute la volonté de Joseph consiste à mettre en œuvre librement ce que Dieu lui demande.
Cette volonté qui en nous est invitée à grandir pour se déterminer pour la volonté de Dieu n’est pas celle d’un surhomme mais au contraire d’un homme qui cherche à faire ce qui est à sa portée. « Nous pensons trop souvent que Dieu ne s’appuie que sur notre côté bon et gagnant, alors qu’en réalité la plus grande partie de ses desseins se réalise à travers et en dépit de notre faiblesse… Joseph nous enseigne qu’avoir foi en Dieu comprend également le fait de croire qu’il peut agir à travers nos peurs, nos fragilités, notre faiblesse » (Pape François, Patris Corde, 2).
La grandeur de Joseph réside dans le fait d’avoir voulu toute sa vie faire ce qui était à sa portée et ce que Dieu lui demandait sans chercher à faire ce qui n’était pas de sa responsabilité. Demandons-lui de nous donner la lumière, la force et le courage d’agir, à son exemple, pour ce qui dépend de nous, et de nous apprendre à faire confiance à Dieu pour tout ce qui n’en dépend pas.

Retrouvez tout ce numéro sur : ilestvivant.com/produit/351-saint-joseph-un-coeur-de-pere/

 

Abonnez-vous à Il est vivant !