Maria Biedrawa : « La paix requiert un engagement permanent »

« Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. » En travaillant à l’instauration de la paix, nous ressemblons à Dieu comme un enfant à son Père.

Mon action est à lire à la lumière de cette parole du Décalogue, « Tu ne tueras pas », et du respect de chaque être humain créé à l’image de Dieu. Chacun est donc mon frère et ma sœur en humanité. J’ai grandi à côté du rideau de fer qui a séparé l’Europe pendant des décennies. Peut-être est-ce pour cette raison que j’ai perçu l’engagement au respect de toute vie humaine comme une mission.
La paix, qui n’est pas l’absence de conflit, dessine un chemin ; et les accords de paix et les pactes de non-agression sont des objectifs à atteindre.
Mais la paix reste très fragile et requiert un engagement permanent.

La paix juste
Cette dernière décennie, le conseil œcuménique des Églises a réfléchi au concept de « paix juste ». « Si tu veux la paix, prépare la guerre », avons-nous appris de l’histoire romaine. Mais ce n’est pas vrai ! Gandhi disait de son côté : « Le but est dans les moyens comme l’arbre est dans les semences. » Demandons-nous chacun : quelle semence est-ce que je jette en terre ? Si c’est un travail pour le bien commun, le résultat ne peut être que le bien commun. Peut-être pas dans sa forme parfaite, mais j’ai ouvert et montré le chemin qui y conduit et même, nous pouvons inventer ce chemin ensemble.
Dans un contexte de conflit armé, il s’agit d’imaginer comment ce monde-là pourrait être autre. Au Sud Soudan, un pays en guerre depuis plus ou moins 19552, je travaille beaucoup avec la commission pontificale Justice et paix. Depuis trois générations, personne n’a connu la paix et la justice ! Ainsi, alors que je formais de jeunes leaders sur la résolution non violente des conflits, ils m’ont dit : « Tu nous parles de justice et de paix, mais nous ne savons pas ce que c’est ! Est-ce que tu pourrais écrire un manuel ? » Et après quatre ans de travail, nous avons réalisé ensemble un manuel expliquant les dynamiques de paix.

Une mission
Depuis le moment où Jésus ressuscité a souhaité la paix à ses disciples déroutés, et qu’il souffle sur eux, la paix est une mission. Les béatitudes nous disent : « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. » En travaillant à l’instauration de la paix, nous ressemblons à Dieu comme un enfant à son Père.

Jamais tranquilles
Cette paix ne nous laisse pas tranquille, comme l’exprime cette belle prière : « Que le Seigneur te donne le bonheur de colère devant les injustices de ce monde ; une colère qui te donne la force de te lever et de surmonter ton impuissance supposée pour faire ce que toi, tu peux faire aujourd’hui ; que le Seigneur te donne assez de tristesse pour être affligé devant ceux qui souffrent de la violence et de l’injustice ; et que cette affliction ouvre en toi les vannes de la compassion. »3

Le rôle spécifique des Églises
Un chercheur allemand4 a fait un travail de recherche sur les accords de paix conclus depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’en 2005. Il en a comptabilisé 40, et non des moindres, qui avaient été rendus possibles grâce aux Églises et aux religions. Il s’est interrogé : qu’est-ce que les Églises et les religions savent faire que les institutions civiles ne parviennent pas à réaliser ? Par exemple, le Mozambique. L’ONU estimait ne plus pouvoir rien faire pour ce pays. C’est alors que la communauté de Sant’Egidio est intervenue et après un long travail, a rendu un accord possible.
Weingardt a identifié trois raisons expliquant pourquoi l’action des Églises en faveur de la paix aboutissait souvent :
– La proximité de l’Église avec la population. L’Église existe des deux côtés de la ligne de front. Cette proximité va de pair avec une connaissance intime du conflit.
– Très souvent, les membres des Églises ont la confiance de tous car ils sont engagés dans d’autres domaines : éducation, soins, etc.
– La compétence pour la médiation, et l’intervention civile de paix.
Avec ces trois données, qui se nourrissent de la foi, nous pouvons en effet aller très loin.

L’intervention civile de paix
Dans plusieurs pays africains, lorsque des groupes sont en conflit armé les uns avec les autres, des comités de paix se mettent sur pied dans les villages. Un comité de paix comprend un(e) représentant(e)5 de chaque groupe jouant un rôle social ; quand des rumeurs apparaissent, des membres de ce comité mènent une enquête pour évaluer le danger réel ; si ce danger est avéré, ils se chargent de mettre la population à l’abri. Ces comités de paix ou intervenants civils de paix, qui sont neutres dans le conflit, préparent des lieux de refuge et la nourriture, en amont avec la population. Ils peuvent parfois poser les bases d’une médiation entre les différents groupes armés, même s’ils ne font pas eux-mêmes cette médiation confiée à des personnes extérieures.
L’intervention civile débouche parfois sur la création de structures parallèles ; par exemple, des villages de paix dans des régions où la guerre sévit depuis plusieurs générations ; ou sur la création de structures qui créent des ponts ; ou sur l’accompagnement sur le plan individuel et collectif des personnes ayant subi les traumatismes de la guerre.
Ces initiatives créent parfois leurs propres dynamiques et vont bien au-delà de ce que nous avons pu imaginer. Ce qui nous appartient, c’est de créer ces espaces de rencontre entre ennemis. Et tout ce que nous vivons dans ces contextes de conflit, peut se vivre partout, quel que soit le contexte de notre existence. Chacun peut devenir artisan de paix.

1. En Allemagne, en Autriche et dans les pays scandinave et anglophone, c’est un métier.
2. À deux reprises il y a eu quelques années de pauses où des armistices ou accords de paix ont été respectés.
3. http://www.sabeel.org/pdfs/Corner53D.pd (texte intégral de la prière).
4. Markus A. Weingardt : RELIGION MACHT FRIEDEN Dr en sciences politiques, Université de Tübingen.
5. Les femmes y jouent un rôle déterminant.

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