Le Frère Éric Bidot a occupé divers services dans son Ordre, dont celui de ministre provincial pour la France.
Il est vivant ! Qu’est-ce qui a inspiré à François d’Assise cette « fraternité » avec toute la création ? Était-ce alors une approche radicalement nouvelle ?
Frère Eric Bidot Au cours de sa conversion qui se déploie dans les années 1205-1210, François, alors âgé de 22 ans, vit un changement de regard signe d’un changement très profond. Fait prisonnier à Pérouse, ville voisine qu’il attaquait avec d’autres compagnons de son âge, puis libéré car malade, son regard sur les choses et les êtres évoluent. Lui qui aimait ce qui brille et procurait du plaisir a changé… S’ensuivent des années de recherche, de solitude, d’hésitations pour découvrir progressivement le centre de sa vie : Jésus pauvre ! À partir de là, tout se réorganise et son rapport à la création avec. Il remarque ce qu’il ne voyait pas avant ou fuyait même : les oiseaux, les lépreux, les fleurs… Tout prend une nouvelle consistance sous ses yeux et dans ses relations. Cette nouvelle consistance, c’est une relation de fraternité avec le créé car il est issu d’un même Créateur. Avec François, nous sommes dans un regard de foi de bout en bout. Il y a fraternité, parce qu’il y a un Créateur de tout ce qui est. Sans la foi chrétienne, François est sympathique, ce qui est déjà beaucoup, mais guère compréhensible.
[…] Comment s’est manifestée cette fraternité envers les créatures ?
[…] François avait une affection de prédilection pour tout ce qui rappelait Jésus, de près ou de loin. Ainsi, les agneaux en référence à la parole de Jean-Baptiste désignant l’Agneau de Dieu, et jusqu’au ver de terre car, sur la croix, Jésus a commencé la prière du psaume 21 où le psalmiste dit : « Je suis un ver, pas un homme » ; l’homme des douleurs s’est comparé à un ver ! Donc le respect de François envers le ver de terre sera référé au Christ souffrant la Passion. On appelle cela de la théologie symbolique : les éléments créés “parlent” de Dieu. Ils ne sont pas Dieu, mais ils évoquent Dieu car, et c’est la théologie de Bonaventure s’appuyant sur l’exemplarisme augustinien qui le dit, toute la création porte l’empreinte du Créateur, à différents niveaux : les créatures minérales, végétales, animales sont des “vestiges” et les personnes humaines et les anges sont à l’image et ressemblance de Dieu Trinité. Cela donne une responsabilité particulière à la personne humaine, intermédiaire choisi, entre Dieu et tout le reste de la création.
Vivre cette fraternité, n’est-ce pas risquer de mettre tous les êtres créés sur un pied d’égalité homme et animal ; homme et végétal… comme le souhaiteraient justement aujourd’hui certains groupes de pression ?
François n’idolâtrait pas la nature. Il avait seulement conscience d’appartenir, parmi les autres éléments, à la création, humblement. C’est cette humilité de la créature que nous avons perdue, nous arrogeant tous les droits sur le créé, ou plutôt les droits d’un propriétaire alors que nous ne sommes que des gérants. Dans le Cantique des créatures, à propos de la terre, François écrit qu’elle nous “gouverne”. Dans l’italien médiéval, gouvernare signifie prendre soin de quelqu’un. Comprenons bien, c’est donc la terre qui prend soin de l’homme et en retour, l’homme doit prendre soin de la terre, en vertu du mandat qu’il a reçu d’être intendant. Il ne peut se soustraire à cette mission car, à l’image et à la ressemblance de Dieu, il porte une responsabilité unique, celle d’être seul capable de réorienter toute la création vers sa finalité, la gloire de Dieu Créateur.
[…] Comment vivre de cette fraternité avec la création à notre tour ?
Récemment, un jeune agriculteur a témoigné auprès des évêques de France que « le sol grouille de fraternité ». Prenons-nous le temps de voir cette fraternité et de laisser la création nous enseigner, plutôt que de nous croire toujours supérieur ? Il nous manque l’humilité de ceux qui acceptent d’apprendre et ainsi de grandir en humanité.
Ceci dit, nous avons aussi notre rôle à jouer, comme le disait le président de la Conférence des évêques de France, Mgr de Moulins-Beaufort : « Nous pouvons nous servir de cette fraternité, nous pouvons l’asservir ou la détruire, lui permettre de se développer ou la forcer pour ce que nous croyons être notre bénéfice et qui peut l’être pendant un temps ; nous pouvons la servir, l’aider à agir mieux encore, et nous pouvons aussi en rendre grâce au Créateur et y reconnaître un signe de sa sagesse et de la sagesse à laquelle il nous appelle. »
A publié La création retrouvée, L’écologie selon saint François, Éditions de l’Emmanuel.
Retrouvez l’entretien dans ce numéro : https://www.ilestvivant.com/produit/350-francois-dassise-un-message-universel/