En 2018, un “Parcours judaïsme” a été organisé pour la deuxième fois à Paray-le-Monial et a suscité de magnifiques rencontres. Plus de cinquante ans après Vatican II, apparaissent les fruits d’un vrai renouveau dans les relations d’amitié entre catholiques et juifs. Ce numéro d’Il est vivant ! apporte sa petite pierre à cette construction essentielle.
Par le père Jean-Baptiste Nadler, auteur du livre Les racines juives de la messe (Éditions Emmanuel)
« Qui sont ceux-là pour toi ? », demande Esaü à son frère Jacob (Gn 33, 5). Pour un chrétien, découvrir l’univers du judaïsme, c’est entrer dans un monde à la fois étranger et familier. Le dialogue entre chrétiens et juifs est une école de l’altérité et de la fraternité. Altérité car ces deux mondes ne sont ni réductibles l’un à l’autre, ni parallèles, ni strictement comparables. Fraternité car, outre leur origine commune qu’est la Parole de Dieu qui appelle et qui envoie, leur histoire est entrelacée l’une dans l’autre depuis deux mille ans jusqu’à aujourd’hui.
Un chrétien ne peut pas aborder ce qu’il est convenu d’appeler le « mystère d’Israël » comme une réalité complètement extérieure à lui-même. On se souvient de l’allocution de saint Jean Paul II à la synagogue de Rome en 1986 affirmant que la religion juive est « d’une certaine manière intrinsèque à notre religion ». Et déjà, vingt ans plus tôt, c’est en « scrutant le mystère de l’Église » que le concile Vatican II se penchait sur le judaïsme (cf. Nostra Ætate, 4). Cela signifie que, par le dialogue avec nos frères juifs, la découverte et la connaissance de cette réalité concrète et spirituelle qu’est Israël n’est pas une occupation périphérique, mais un approfondissement de l’identité même de l’Église.
Le mystère d’Israël éclaire et révèle le mystère de l’Église. On ne peut donc pas réserver cette connaissance à un petit nombre de chrétiens, au groupe des passionnés-passionnants. Il est grand temps que tout chrétien prenne conscience de sa véritable identité : être disciple du Christ, c’est – littéralement – être disciple du Messie d’Israël et entrer dans la riche espérance messianique qui anime toujours nos frères juifs. « Les païens ne peuvent découvrir Jésus et l’adorer comme Fils de Dieu et Sauveur du monde qu’en se tournant vers les juifs et en recevant d’eux leur promesse messianique telle qu’elle est contenue dans l’Ancien Testament » (Catéchisme de l’Église catholique, 528). La foi chrétienne ne cesse de tirer sa sève vitale des racines de l’olivier qui la portent. C’est pourquoi le pape François peut affirmer : « Le dialogue et l’amitié avec les fils d’Israël font partie de la vie des disciples de Jésus » (La Joie de l’Évangile, 248).
Un peuple fidèle à sa vocation
L’un des aspects les plus surprenants du peuple juif est sa permanence. Comment se fait-il que ce petit peuple – petit en nombre – soit toujours présent, plus de trois mille ans après sa création, alors même que des civilisations bien plus puissantes ne subsistent aujourd’hui que dans les livres d’histoire et les collections de nos musées ? L’une des réponses à ce questionnement est la volonté libre de Dieu. Libre car la volonté de Dieu n’a pas besoin de s’auto-justifier devant les hommes : Dieu fait ce qu’il veut et nous savons que sa volonté est toujours bonne puisque Dieu est bon. Oui, comme l’affirme l’apôtre Paul : « Dieu n’a pas rejeté son peuple. […] Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance » (Rm 11, 29).
Si le peuple juif est toujours là, présent et agissant dans la destinée humaine malgré les multiples persécutions qu’il a subies, c’est aussi parce qu’il reste fidèle à sa vocation et à sa mission. Sa fidélité à la Torah, à la Parole de Dieu et à ses commandements, est sa raison d’être : « Tu craindras le Seigneur ton Dieu. Tous les jours de ta vie, toi, ainsi que ton fils et le fils de ton fils, tu observeras tous ses décrets et ses commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie » (Dt 6, 2).
Une sainte émulation
Cette fidélité – qui est un don de la grâce – interpelle aujourd’hui l’Église et questionne les chrétiens dans leur propre fidélité à la Parole et à la volonté de Dieu. Comme saint Paul l’avait bien compris et écrit dans sa lettre aux chrétiens de Rome, il existe une sainte émulation entre juifs et chrétiens, pour que chacun fasse toujours plus de progrès dans « l’amour de ton Nom et la fidélité à ton alliance »1 afin que le monde croie et soit sauvé. « Dieu continue à œuvrer dans le peuple de la première Alliance et fait naître des trésors de sagesse qui jaillissent de sa rencontre avec la Parole divine. Pour cela, l’Église aussi s’enrichit lorsqu’elle recueille les valeurs du judaïsme » (La Joie de l’Évangile, 249).
Des relations renouvelées
S’intéresser aux relations entre juifs et chrétiens, c’est prendre
douloureusement conscience d’une longue histoire chaotique. Pendant dix-sept siècles, des chrétiens – et non des moindres : des évêques, des papes, des rois catholiques – ont persécuté des juifs, les ont pourchassés, spoliés, convertis de force, expulsés, voire massacrés.
Au nom de la croix, une certaine théologie a nourri un antijudaïsme qui fera, plus tard, le lit de l’antisémitisme néopaïen européen. Bien que très documentée, cette histoire peu reluisante reste encore largement méconnue du grand public. Cependant, il faudra honorer l’humble et discrète lumière des nombreux fils et filles de l’Église qui, au long des siècles, furent des Justes parmi les nations, tout particulièrement pendant les heures ténébreuses de la Shoah. La prise de connaissance de cette horrible Shoah fut d’ailleurs le déclic qui permit à l’Église d’amorcer une techouva, un réel repentir, et de tourner définitivement la page de l’antijudaïsme.
« Du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux juifs, le saint concile veut encourager et recommander la connaissance et l’estime mutuelles, qui naîtront surtout d’études bibliques et théologiques, ainsi que d’un dialogue fraternel » (Nostra Ætate, 4).
Plus de cinquante ans après Vatican II, nous commençons à recueillir les fruits d’un vrai renouveau dans les relations d’amitié entre catholiques et juifs. Ce numéro d’Il est vivant ! voudrait apporter modestement sa pierre à cette construction : en introduisant à la découverte de l’univers riche et complexe du judaïsme, en invitant à la connaissance de l’histoire et de l’actualité des relations entre l’Église et Israël, nous voulons inviter les lecteurs chrétiens et juifs à se rencontrer, s’apprécier et s’honorer mutuellement afin que grandisse l’authentique amitié fraternelle que Dieu veut pour ses enfants.
- Citation de l’ouverture de la prière du Vendredi saint pour les juifs.