Voici un état des lieux des réflexions et questions qui peuvent légitimement nous habiter face à la crise actuelle de l’Église, et des pistes pour en sortir.
Aujourd’hui, éclate au grand jour une situation dont nous n’avions pas encore réellement conscience, du moins pas dans les proportions révélées depuis quelques mois. Dès les années 2000, les premiers grands scandales pédophiles dans l’Église ont éclaté aux États-Unis, puis en Irlande et en Allemagne. Près de 20 ans après, de nouveaux scandales ont été révélés, dans des proportions encore plus importantes, y compris aux États-Unis. Les catholiques savent désormais que des choses très graves se sont déroulées au sein de l’Église et que l’on peut dénombrer, depuis 50 ans et dans le monde entier, des milliers de victimes d’abus sexuels de la part de prêtres et de consacrés, avec parfois même l’implication de certains évêques.
Certes, les actes pédophiles ne concernent qu’une minorité de prêtres. Dans les diocèses où de vraies enquêtes ont été menées, on estime que cela concerne entre 0,5 % et 5 % des prêtres en activité entre 1950 et 2000 (1). C’est donc une minorité mais cela reste important et inadmissible ! Et parmi ces prêtres ou religieux, certains ont été de véritables prédateurs et ont fait des dizaines de victimes pendant des décennies. De plus, l’état des lieux n’est pas encore complet. Cela prendra encore du temps.
De la sidération à l’accueil de la vérité
Depuis les premières révélations jusqu’à aujourd’hui, nous avons tous été, y compris au plus haut niveau de l’Église, plongés dans une forme de sidération. Comment imaginer en effet un prêtre capable de commettre de tels actes ? Nous ne pouvions ni ne voulions y croire. Nous espérions tous que ces drames soient tellement marginaux qu’on pourrait ne pas s’y attarder. Il a donc fallu du temps pour que la lumière se fasse.
Désormais des faits extrêmement graves, nombreux et répétés sont avérés. Beaucoup de catholiques, sortant du déni, sont horrifiés, meurtris et déboussolés. Un certain nombre de personnes même, croyantes ou non, sont tellement scandalisées qu’elles rejettent violemment l’Église : « Si c’est cela, le visage de Dieu, je n’en veux pas ! » La déception est d’autant plus cruelle que l’attente est immense.
Mais face à de telles révélations, on est en droit de s’interroger : quelle est l’ampleur du phénomène ? Quelles en sont les causes ? N’appartient-il pas désormais au passé ? Que faut-il réformer au sein de l’Église ? Peut-on lui faire encore confiance ? Pourquoi et comment l’aimer encore ? Comment vivre le sacerdoce aujourd’hui ? etc.
Éviter le scandale ?
Dans un tel contexte, dès qu’un nouveau scandale est rendu public, des chrétiens se disent : « Mais pourquoi répandre encore une telle nouvelle ! » C’est d’ailleurs ainsi que l’Église a réagi depuis de nombreuses années, se préoccupant souvent en premier de taire le scandale. Les victimes et leur famille étaient parfois les premières à souhaiter ce silence afin de ne pas risquer de subir l’opprobre public et d’écoper ainsi d’une deuxième peine.
Pourtant, dans l’Évangile, Jésus, lui, n’a pas peur d’évoquer le scandale : « Celui qui est un scandale, une occasion de chute pour un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’il soit englouti en pleine mer. Malheureux le monde à cause des scandales ! Il est inévitable qu’arrivent les scandales ; cependant, malheureux celui par qui le scandale arrive ! » (Mt 18,6-7/voir aussi Lc 17,1-3 et Mc 9,42 et suivants).
Mais nulle part dans l’Évangile, Jésus ne justifie de cacher la vérité. Au contraire ! « La vérité vous rendra libres ! » (Jn 8, 32) ou encore : « Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. » (Mt 12, 26-27) ; et « Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. » (Jn 3, 20-21).
Ne le nions pas. Le fait que les scandales soient connus provoque des conséquences dramatiques. Il est un puissant contre-témoignage qui fait chuter les petits et un immense frein à la propagation de la Bonne Nouvelle. Cependant, au sens étymologique du mot, le scandale est ce qui fait chuter, c’est la pierre d’achoppement. Alors croyons fermement que celui qui est à l’origine de la chute n’est pas celui qui « fait la vérité » mais bien uniquement le pécheur coupable de l’acte !
Pourquoi est-il vital de parler ?
Parler a de nombreuses vertus. Cela permet d’abord à ceux qui souffrent de mettre des mots sur leur douleur. Certaines victimes commencent à raconter ce qu’elles ont vécu dans leur enfance parfois des dizaines d’années après, et cette parole les libère. Car le poids du silence est terrible. Pour elles en premier lieu, ce n’est que justice que leur souffrance soit enfin entendue et prise en compte.
Cette libération de la parole permet aussi de prendre conscience des conséquences effroyables des abus sur les victimes. Longtemps, leur gravité a été beaucoup trop sous-estimée, tant dans l’Église que dans la société. Mais aujourd’hui on le sait : les abus sexuels détruisent les vies ! L’Église n’a pas toujours vu, su voir ou même parfois voulu voir. Elle n’a pas mesuré et pris en compte suffisamment la souffrance des victimes, ainsi que le danger que pouvaient représenter certains bourreaux. Comment n’a-t-elle pas été davantage sensible à la souffrance de ces enfants ? Comment a-t-elle pu ne pas être le bon samaritain pour les victimes ? Comme le lévite de la parabole, l’institution semble avoir été plus préoccupée d’elle-même que du blessé laissé au bord du chemin… Certes, être victime de pédophilie est une souffrance enfouie et secrète, qui ne s’exprime très souvent que de nombreuses années plus tard. Certes, le plus grand nombre d’actes pédophiles se déroulent au sein même des familles… Mais il est choquant que l’Église, qui a pour mission de vivre et transmettre un amour préférentiel de Dieu pour les pauvres n’ait pas su ou voulu voir ! Il faut le reconnaître : l’organisation a été collectivement responsable pendant des décennies de taire ce secret et même de déplacer des prêtres coupables. Pensant ainsi régler le problème, on mettait de nouveau des enfants en grand danger ailleurs ! De telles décisions ont été prises par de très nombreux évêques et responsables religieux.
Cette prise de conscience, plus que nécessaire, a aussi été possible parce que les faits avaient été rendus publics par les médias.
D’ailleurs l’Église a rendu plusieurs fois hommage au travail des journalistes qui, dans la très grande majorité des cas, relatent les situations de manière exacte, précise et professionnelle. Alors n’ayons pas peur de la lumière ! La vérité nous rendra libres !
Jésus nous invite à passer à l’action. « Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chue, coupe-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie éternelle manchot ou estropié, que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel » (Mt 18, 8). ou encore « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain » (Mt 18, 15-17). Conversion et correction fraternelle sont au cœur du plan d’action de Jésus ; et s’il le faut, il exhorte même à rendre public le péché !
Chercher à comprendre les causes
Pour éradiquer un phénomène d’une telle gravité, il est aussi important de chercher à en comprendre la nature et les causes. Il peut être utile par exemple de distinguer les cas d’abus sur des enfants non pubères, la pédophilie, des situations d’abus sur des mineurs pubères, relevant de l’éphébophilie. Il ne s’agit probablement pas de la même déviance sexuelle. Aux États-Unis par exemple, 80 % des cas d’abus sur mineurs concernent en réalité des garçons pubères. Dans ce pays, ces abus s’enracinent donc pour la plupart dans une attirance homosexuelle. Il s’agit d’un sujet complexe sur lequel des études scientifiques doivent être menées.
Dans sa Lettre au peuple de Dieu, le pape François pointe le cléricalisme comme l’une des causes des scandales pédophiles. Il explique que le cléricalisme se présente comme le terreau qui favorise les abus d’autorité de tous ordres. Il peut être vu comme un style de vie particulier des clercs et une façon d’exercer le pouvoir qui leur est conféré par l’ordination sacerdotale. Car un vrai pouvoir a été confié aux évêques et aux prêtres : c’est Jésus lui-même qui l’a confié aux apôtres, à leurs successeurs et à leurs collaborateurs. Le pouvoir d’administrer les sacrements, d’annoncer la Parole et de gouverner l’Église. Le sacrement de l’ordre a été voulu par Jésus pour ordonner son corps, pour lui donner une forme et une unité.
L’Évangile et la tradition, le concile Vatican II en particulier, sont lumineux sur cette question. Le prêtre est configuré au Christ, tête de l’Église. Pour autant, ce pouvoir ne lui donne pas tous les pouvoirs. « Dans le monde, les grands font sentir leur pouvoir ; parmi vous, il ne doit pas en être ainsi », dit Jésus (Mt 20, 25).
Mis à part, à distance du peuple, les prêtres peuvent aisément se recréer leur “petit univers”, organisant leur vie comme ils l’entendent sans regard extérieur. C’est ainsi que, insoupçonnables et insoupçonnés, les plus fragiles n’ont pas bénéficié du cadre nécessaire pour canaliser et éduquer leurs pulsions sexuelles malheureusement parfois déviantes, et que certains se sont retrouvés dans des situations où ils ont commis des abus d’autorité très graves.
Précisons que les laïcs sont autant responsables du cléricalisme que les prêtres. Jusqu’à il y a peu, lorsque par exemple quelqu’un tentait de dénoncer une situation d’abus, il se faisait le plus souvent rabrouer par sa communauté. Le cléricalisme est donc le problème de tous : autant celui des laïcs que des prêtres ! Alors, comment lutter le plus efficacement possible contre le cléricalisme ? Non pas en “faisant la révolution” mais plutôt en se convertissant et en réinventant un style de vie en Église davantage conforme à l’Évangile.
Si on croit que le sacerdoce est un trésor, et nous le croyons, comment faire en sorte qu’il soit vécu selon ce que Jésus a voulu qu’il soit ?
Le sacerdoce : un don très grand !
Dans cette période de troubles, il est bien naturel que certains prêtres se sentent déboussolés. Certains sont fatigués qu’on ne parle « que de ça » et usés d’être suspectés alternativement de cléricalisme et de pédophilie. Mais au fond d’eux-mêmes, s’ils sont conscients de leurs fragilités, ils sont aussi fiers d’être prêtres. Ils ont donné leur vie pour le Christ et pour leurs frères, au prix de grands sacrifices. Ils se donnent généreusement, avec leurs qualités et leurs défauts. Ils se savent les bénéficiaires d’une grâce imméritée liée au choix de Jésus et à leur ordination sacerdotale. Alors être associé à cette horreur leur pèse infiniment.
Mais allons plus loin. Dans cette épreuve, les prêtres ne sont-ils pas toujours davantage configurés au Christ serviteur et au Christ souffrant ? D’une certaine façon, cette crise ne leur permet-elle pas aussi d’être fidèles à leur vocation ? Là encore, quel insondable mystère !
Oui, le mystère du prêtre est grand et il est capital que les laïcs soutiennent et épaulent les prêtres. Alors, que devons-nous faire ? Comment encourager les prêtres sans retomber dans une soumission stérile et paralysante ?
Comment entrer dans une collaboration fructueuse pour la mission de l’Église ? Là se trouve l’un des chantiers les plus vitaux pour l’avenir de la mission de l’Église !
Si la confiance envers l’Église est aujourd’hui clairement émoussée, l’attente vis-à-vis des prêtres est immense et restera toujours forte. Le besoin de figures qui élèvent l’homme au-delà de lui-même ne passera pas. Les prêtres seront toujours considérés, de la part notamment des personnes assez loin de l’Église, comme des hommes de Dieu.
Comment annoncer l’Évangile dans un tel contexte ?
Dans ce contexte de crise, il est essentiel de se demander ce que nous avons à convertir dans notre façon d’annoncer le Christ. Comment oser encore prêcher « la bonne parole » alors que des ministres de l’Église ont commis de tels crimes ? ! Pourtant, « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19, 10). Plus que jamais, notre évangélisation doit se faire humble et forte, centrée sur le message de la miséricorde en disant comme saint Paul : « Jésus Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier » (1 Tm 1, 15). Là encore, c’est un chantier vital. À chaque époque, l’Esprit Saint a renouvelé la manière d’annoncer l’Évangile. À chacun d’entre nous de réinventer une façon d’annoncer la joie de l’Évangile pour aujourd’hui !
(1) Lire la page Wikipédia sur les abus sexuels dans l’Église catholique.
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