Par Sophie Mouquin*
Le saccage du musée de Mossoul, le 26 février, perpétré, mis en scène et filmé par Daech a fait le tour du monde en quelques heures via Internet. Sophie Mouquin nous aide à décrypter cet événement et à y « faire face ».
L’Histoire du vandalisme et celle de l’iconoclasme sont, malheureusement, riches d’exemples. Louis Réau, qui publia en 1958 une Histoire du vandalisme (rééditée et remarquablement mise à jour par Michel Fleury et Guy-Michel Leproux en 2013), dénonçait, pour la seule France, les ravages et les pertes irrémédiables de « l’une des formes les plus odieuses de la sauvagerie ». À la suite de Réau, nombreux furent les auteurs à courageusement exhumer du passé les atrocités des destructions du patrimoine. Depuis plusieurs années, le monde est le témoin – parfois muet et donc complice – de destructions commises au nom du prophète, par des fanatiques qui pratiquent l’iconoclasme. Détruire des icônes du patrimoine serait détruire des idoles. Souvenons-nous, ne serait-ce que dans les dix dernières années, de la destruction des Bouddhas de Bamyan, des manuscrits de Tombouctou, du tombeau de Hassan al-Basri, de celui de Jonas, du musée d’art islamique du Caire. Le saccage du musée de Mossoul, le 26 février dernier, d’une extrême violence, appelle à plusieurs commentaires.
Tout d’abord, il démontre que la culture et le patrimoine sont insoutenables pour des fanatiques. Qu’ils sont un symbole. Le musée de Mossoul, l’ancienne Ninive du II millénaire avant notre ère, renfermait des pièces, exceptionnelles et uniques, qui étaient les témoins d’une culture d’un extrême raffinement. Au-delà même de la destruction d’idoles, puisque c’est ainsi que les islamistes de Daech justifient leurs actes, c’est en réalité le signe visible de l’existence d’une autre culture, d’une autre pensée qui est attaqué. Il faut rayer toute trace de l’histoire et de la culture : l’autodafé le 3 février dernier, de 2 000 ouvrages de la bibliothèque de Mossoul, était déjà comme l’avait souligné François Boespflug, une manifestation de la haine d’une autre culture que la sienne. Tout ce qui n’est pas « comme » est considéré comme « contre » et mérite donc la mort pour les hommes, la destruction pour le patrimoine.
Ensuite il constitue une escalade de violence ou surtout une mise en scène de la violence et à travers elle de la puissance ou de la supposée puissance de ces hommes devenus fous. Ninive est assiégée, et cet assaut est mis en scène, filmé, et ensuite lancé à la face du monde. « Destruction des œuvres condamnables et exhortation au bien », annonce Daech. Le bien de Daech serait le seul bien, qui justifie toute chose. Qui justifie que l’on tue, que l’on brûle, que l’on détruise.
Daech assassine. Tue. Des hommes et des œuvres. Des êtres humains, des juifs, des chrétiens, des musulmans. Des œuvres, fruit du travail de la pensée et de la main. Des sculptures et des livres. Témoins d’une culture, d’un savoir-faire, d’une histoire. D’un passé donc d’un présent et d’un avenir. Le monde va-t-il encore longtemps accepter d’être tué ? Ou va-t-il faire sienne cette Parole de l’Écriture « je me suis fait tout à tous », pour enfin découvrir que l’altérité est la seule voie possible de l’humanité ?
« Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre. Je me suis fait Juif avec les Juifs, afin de gagner les Juifs ; sujet de la Loi avec les sujets de la Loi – moi, qui ne suis pas sujet de la Loi – afin de gagner les sujets de la Loi. Je me suis fait un sans-loi avec les sans-loi – moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu, étant sous la loi du Christ – afin de gagner les sans-loi. Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile, afin d’en avoir ma part. (1 Co 9, 19-23) »
* Sophie Mouquin est maître de conférences en Histoire de l’art moderne à l’Université de Lille et directrice des études à l’École du Louvre.
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