Mgr Nicolas Djomo Lola, évêque de Tshumbe et président de la Conférence épiscopale du Congo, nous a livré ce matin son impression sur le Synode, ses attentes, et les défis qui s’imposent selon lui en Afrique et dans le monde. Entretien.
Propos recueillis par Claire Villemain, à Rome.
Qu’avez-vous pensé de cette première semaine de Synode?
Il y a, je trouve, une grande liberté de parole, mais ce qui me marque c’est la grande diversité des situations vécues dans les différentes parties du monde. J’apprends beaucoup, notamment par le témoignage des communautés chrétiennes qui vivent dans les pays musulmans. Il y a chez nous des programmes de développement de l’islam par l’Arabie Saoudite, par le biais de construction de mosquées ou en donnant des bourses à des jeunes. Cependant, si ce n’est pas encore un problème majeur, je reste très attentif.
Vous êtes, chez vous, dans la première annonce de la foi. Comment considérez-vous ce défi de « nouvelle » évangélisation ici en Occident?
En Occident, l’Église fait face à une forte déchristianisation, à une sécularisation qui préoccupe beaucoup le Saint-Père. C’est une des raisons principales de la convocation de ce synode. Il a rassemblé l’Église pour se pencher sur la question des nouvelles méthodes pour aider les chrétiens à refonder leur foi, à revenir au Christ.
Quels sont les défis pour vous, évêque africain?
En Afrique, et dans mon pays, nous ne faisons pas face à une déchristianisation remarquable comme en Europe. Notre problème majeur est que les gens cherchent à rencontrer Dieu sur la base de leurs problèmes personnels (santé, chômage, etc.), et attendent des solutions immédiates. Les sectes qui prolifèrent actuellement leur apportent ces solutions mais elles s’avèrent illusoires, elles les mènent à l’impasse. Nous parlons donc de « mal-croyance », car les gens sont en recherche de Dieu, mais cette quête se fait n’importe comment. La nouvelle évangélisation c’est pour nous comment faire pour garder ces personnes dans la foi catholique et leur permettre d’affronter des réalités difficiles de la vie quotidienne; comment mettre au point des pratiques pédagogiques catéchétiques les plus adaptées pour aider nos fidèles à retrouver le vrai visage du Christ.
Une fois déçus, reviennent-ils vers vous?
Cette « hémorragie » est très préoccupante. Parmi eux, certains reviennent, car ils découvrent que les chefs de ces mouvements exploitent de façon sommaire leur élan spirituel. Mais malheureusement, beaucoup restent.
Pourquoi?
L’une des raisons est, par exemple, qu’ils trouvent chez eux un accueil très chaleureux, inconditionnel, peu culpabilisant. Cela doit nous remettre en question: comment accueillons-nous les personnes? Nous devrions peut-être cultiver davantage cette proximité affective et prendre l’homme dans son intégralité. Parfois cela nous manque… Développer l’écoute et l’accueil est sûrement un point de départ.
Comment pensez-vous améliorer cette question?
Cela doit passer par une meilleure formation des prêtres, des catéchistes, des communautés. Sans cet accueil, les gens iront ailleurs et se feront exploiter. Cela doit être intégré dans la formation de tous les évangélisateurs.
Quels conseils donneriez-vous aux communautés du Nord pour mettre en œuvre cette nouvelle évangélisation?
Je n’ai pas de conseils à donner car nous sommes nous aussi guettés par les changements du monde. Il est certain qu’en Europe, le matérialisme a beaucoup joué dans l’évolution des attitudes religieuses. Mais le matérialisme arrive aussi chez nous! A cause de la mondialisation, de l’urbanisation, les choses changent déjà très vite en Afrique. La nouvelle évangélisation doit être très attentive à ces changements du monde. Il donc faut aborder ces questions sur le plan pastoral pour répondre à ces évolutions.
Créer des communautés chrétiennes de base est une question qui revient beaucoup pendant ce synode. Cela devient-il une exigence pour notre temps?
Au Congo, cela a déjà été pris comme option d’évangélisation. Pouvoir se retrouver ensemble, en petits groupes, est tout à fait fondamental. L’exemple de l’Église primitive est par exemple très approprié, notamment dans les diocèses ruraux.
Vos interventions sont souvent courageuses et très remarquées, comme par exemple lors des dernières élections ou à propos du trafic de minerai au Nord-Kivu. Les prises de paroles des responsables d’Église participent-elles à l’évangélisation?
Les Congolais ont beaucoup d’estime envers l’Église catholique. D’abord parce qu’elle est majoritaire, mais aussi parce que nous sommes partout aux côtés des populations. La misère est immense, notamment après les violences à l’Est du pays. Au nom de la doctrine sociale de l’Église, nous savons que c’est une urgence pour nous de contribuer à l’établissement d’une paix durable, à l’instauration d’une véritable démocratie, au respect des droits de l’homme. Les dirigeants nous écoutent, et nous nous adressons à eux avec un esprit de vérité pour dire ce qui ne va pas, ce qu’il faudrait faire pour le bien-être des populations, ce qui est juste, pour sauvegarder la dignité de l’homme, les droits des femmes et des filles. Nous sommes très engagés en effet, mais ce que nous faisons là n’est que la continuité de notre foi, en faisant connaître la doctrine sociale de l’Église. Cet engagement social révèle la relation entre la foi et la charité.
Cela ne menace-t-il pas votre action et votre sécurité?
Si, bien-sûr. J’ai trois frères évêques qui ont été tués à l’Est du pays, à Bukavu comme vous le savez, à cause de notre engagement. Nous recevons des menaces, tous. Mais cela dans la logique de l’Évangile de Jésus-Christ. Notre mission peut nous amener jusqu’à la croix, nous en sommes conscients, mais nous ne pouvons pas reculer. Cela fait partie de notre mission.
Qu’attendez-vous de ce synode?
Un élan nouveau pour la recherche de moyens, de méthodes, de pédagogies catéchétiques plus adaptées. J’attends une nouvelle ardeur.
Cela doit-il passer par une simplification de la présentation de la foi?
En effet, un discours savant passera au dessus des têtes. Et ces nouvelles méthodes devront prendre en compte cette simplification. L’urgence chez nous, c’est aussi un gros travail de traduction du Catéchisme dans les langues de notre pays (4 chez nous). Aujourd’hui cela n’est pas fait. Le Catéchisme pourra alors être utilisé dans les facultés et les séminaires… mais il faudra encore une autre étape pour le rendre digeste pour les populations.
Malgré ces expériences tellement différentes, pensez-vous que nous allons réussir à obtenir un message commun?
Oui, il va falloir faire attention. Ce thème intéresse d’abord l’Occident, le Saint-Père ne s’en cache pas. Mais il a bien fait d’inviter l’Église universelle. Il aurait pu en faire un thème pour un synode européen, mais il a élargi. Et nous nous apercevons que, tous, nous sommes confrontés à cette nécessité d’une évangélisation nouvelle. Mais je souhaite que dans les propositions, cette diversité soit exprimée pour que chaque église puisse en tirer profit.
Y a-t-il une pensée saillante que Benoît XVI aurait soulevé depuis le début du synode et qui vous rejoindrait plus personnellement?
Le Saint-Père insiste depuis le début sur cette idée que notre foi doit avoir des racines profondes, et que cette foi nous permet de devenir missionnaire. Il a notamment déclaré que si nous avions une foi enracinée, nous ne quitterions pas l’Église et que nous témoignerions naturellement.
Depuis le début du synode, on sent que les évêques s’expriment et s’engagent. Alors que l’on a pu entendre, au cours d’autres synodes, la tentation d’accuser le monde, on a l’impression cette fois qu’il y a une remise en question réelle. Est-ce la réalité?
Je crois que ce synode est très pastoral. Il touche à des réalités très concrètes. Et nous devons voir en face ce que nous avons fait, et aussi ce que nous n’avons pas fait.C’est vrai.
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