Le dossier de la rentrée! Les bienfaits du détachement

(c) GODONG
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Gérer ses biens selon l’Évangile
« Va, vends tous tes biens et suis moi. » (Mc 10, 21). Pour la plupart d’entre nous, ne rien posséder ne semble ni raisonnable, ni possible. Alors que signifie cette parole de Jésus ? Et concrètement, comment la vivre ? L’enjeu est capital pour notre vie chrétienne, estime le père Emidio-Marie. Il nous explique pourquoi.
Entretien instructif et décapant avec le frère Emidio-Marie, auteur de La bourse ou la vie? (éditions de l’Emmanuel)
Ilestvivant « Dieu et l’Argent : On ne peut avoir deux maîtres » (Mt 6, 24). Jésus a-t-il un problème avec l’argent ?
Frère Emidio-Marie Évitons d’emblée tout malentendu, il n’y a pas, dans l’Évangile, un discours de condamnation de l’argent ou des biens en tant que tels. La doctrine sociale de l’Église par exemple, n’est pas contre la propriété privée. Mais elle rappelle que nous ne sommes que des administrateurs.
Dans l’Ancien Testament, il y a même une vision positive des biens et de la richesse : Dieu bénit le juste et donne largement de quoi vivre (à Abraham, à Salomon, etc.). Cette bénédiction est toutefois liée à la fidélité à l’Alliance. Les prophètes s’en prennent en effet dans le même temps à ceux qui accumulent les richesses et écrasent les pauvres. La Bible invite à une prudence vis-à-vis de l’argent car il est un symbole puissant : le symbole de toutes les autres idoles.
Dans l’Évangile, Luc écrit d’ailleurs le mot “Argent” avec un A majuscule car celui-ci peut très rapidement se substituer à Dieu et rendre l’homme esclave. Lorsque l’argent prend une place démesurée dans notre vie, il nous empêche d’atteindre le but en vue duquel nous avons été créés : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Le but de notre vie, ce n’est pas l’argent, c’est Dieu.
IEV Vous avez publié un livre sur le détachement par rapport aux biens. Pourquoi ?
EM J’ai prêché pendant 18 ans des retraites sur ce thème. Ce livre en est le fruit. Depuis 21 ans, en tant que prêtre, j’exerce un ministère de confession et d’écoute. J’ai rencontré beaucoup de chrétiens qui se disent détachés par rapport aux biens et à l’argent et ils le croient sincèrement. Mais en réalité, ils ne le sont pas encore. Ils ont vraiment rencontré le Seigneur, ce qui les a amenés à vivre certains renoncements. Mais leur cœur est encore partagé : Dieu n’est pas l’Unique pour eux. Ce livre a pour but de les aider à choisir vraiment Dieu pour maître et à rejeter Mammon, l’anti-Dieu par excellence, afin de laisser Dieu agir pleinement en eux et à travers eux.
Par ailleurs, beaucoup pensent : « Le détachement, c’est bien, mais pour les religieux ! » Je crois à l’inverse que c’est un appel qui s’adresse à tout homme, quel que soit son état de vie, pour avancer vers la sainteté. C’est pourquoi j’ai conçu ce livre comme un vrai parcours de conversion.
IEV Être au clair sur notre rapport à l’argent et aux biens serait donc essentiel pour grandir en sainteté ?
EM Exactement. Faire le point sur notre relation à l’argent et aux biens nous permet de prendre conscience de nos idoles : à quels biens suis-je attaché de façon désordonnée, qui m’empêchent de m’attacher à Dieu seul ?
IEV Pour choisir véritablement le Seigneur comme l’Unique, vous conseillez à chacun d’entre nous de poser un geste concret de détachement…
EM En effet, il ne suffit pas de dire « Seigneur, Seigneur ». Il faut lui prouver notre attachement et notre disposition à renoncer à tout le reste pour le suivre. Il est évident que ce geste de renoncement aux biens n’est pas à envisager au tout début d’un chemin de foi (les personnes partiraient en courant !) mais après un certain temps de cheminement. Comment entendre la Parole : « Quitte tout, donne-le aux pauvres et suis le Christ », alors qu’on est désemparé, sans repères ? On a besoin d’abord qu’on nous annonce que Dieu nous aime et veut nous sauver.
Quand elle s’est bien nourrie de la Parole, s’est détachée du péché grave et a accompli une première purification, alors la personne est en mesure d’entendre des enseignements pour préparer ce geste de détachement.
À un certain moment, Dieu nous dit en effet : « Oui, mon cher enfant, tu es bon, tu dis tes prières, tu fais tes pratiques… mais il y a quelque chose que tu ne veux absolument pas lâcher et cela m’empêche de te sanctifier et de te faire porter des fruits pour le Royaume. Maintenant, veux-tu vraiment me suivre ? » Et là commencent les luttes et les combats. C’est inévitable, l’enjeu est trop grand pour que le démon nous laisse en paix.
IEV En quoi consiste le détachement ?
EM Pour commencer, on peut s’exercer à faire de bonnes actions, par exemple donner un verre d’eau à un malheureux assoiffé. C’est louable, mais ce n’est pas vraiment cela, le détachement. On peut aussi se décider à partager de façon régulière. C’est très beau, mais ce n’est pas nécessairement un véritable détachement. On peut choisir de donner quelque chose de conséquent. Par exemple, si je dois changer ma voiture, je peux soit la remettre au garagiste afin d’obtenir une réduction sur le véhicule neuf, soit l’offrir à mon voisin qui en a besoin. Mais là non plus, on ne peut pas parler encore de détachement. N’oublions pas l’hymne à la charité de saint Paul : « Si je donne toutes mes richesses, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. »
Le vrai détachement advient lorsqu’on accepte de quitter ce à quoi notre cœur est attaché de façon désordonnée, qui nous empêche d’avancer dans la voie de la sainteté, de l’amour. Cela peut être de l’argent, une maison, le travail, ou tout autre chose qui nous rend esclave et nous détourne du but de notre vie : suivre Jésus, et avec lui, aimer Dieu et les autres, jusqu’à nos ennemis, en laissant son Esprit Saint agir en nous car hors de lui, nous sommes incapables d’aimer jusqu’au bout.
IEV Il ne suffit donc pas de ne rien avoir pour être vraiment détaché…
EM Je connais des personnes riches, possédant de superbes propriétés, qui sont bien plus détachées que d’autres, assez pauvres, qui meurent de jalousie vis-à-vis de leurs voisins. La question n’est pas la pauvreté économique. Des riches peuvent être pauvres intérieurement et des pauvres, à l’inverse, non. Saint Augustin écrit : « Je cherche un pauvre et je ne l’ai pas trouvé. »
Quel dommage, alors que le détachement est la voie vers une vraie liberté intérieure !
IEV Comment savoir quel geste poser ?
EM Il s’agit de prendre le temps de la prière et du discernement, si besoin avec un père spirituel. Si l’on est marié, il est évidemment nécessaire de consulter son conjoint. Faire ce geste ni trop vite, mais ni trop lentement non plus : car à force de le repousser aux calendes grecques, on ne le fera jamais et on trouvera, pour cela, toutes les justifications de la terre !
Un moine, un consacré, doit tout quitter une fois qu’il revêt ce style de vie : c’est un détachement total. Il renoncera par exemple à son héritage.
Pour un laïc qui doit payer le loyer de la maison, remplacer la chaudière cassée, acheter les couches du petit qui vient de naître, etc. cela prendra une forme adaptée à son type de vie. Il ne faut pas se comparer. Cela me rappelle l’épisode de l’obole de la veuve dans l’Évangile. Jésus entre dans le Temple avec ses disciples. À côté de tant de riches qui mettent ostensiblement de superbes offrandes dans le trésor du temple, cette petite veuve met tout ce qu’elle a, deux piécettes. Et Jésus dit : « Elle a mis plus que tous les autres. » Je ne pense pas que le Seigneur ait loué cette pauvre femme pour l’abandonner à son triste sort ! Dieu a pourvu. Et il pourvoira si nous entrons dans cette même attitude, quelle que soit la forme que prenne ce détachement.
Je me souviens d’un couple qui avait reçu un héritage et qui voulait donner une grosse somme aux pauvres. Ils étaient prêts. Mais quelques jours avant de poser ce geste, ils ont eu une grosse dépense imprévue. Ils sont revenus me voir en me confiant : « On ne peut plus rien donner… » Nous avons relu ensemble la situation dans laquelle ils se trouvaient. Et nous avons compris que de leur part, le Seigneur n’attendait pas un geste de nature économique. Parents de famille nombreuse, ils avaient déjà fait bien des coupures avec la possession des biens depuis le temps de leurs fiançailles.     En revanche, Dieu leur a montré un attachement plus intérieur, plus caché, qu’il leur proposait de quitter pour avancer vers lui plus librement.
IEV Comment savoir si l’on est vraiment détaché ?
EM Est-ce utile ? En revanche Dieu, qui veut notre bien, sait nous manifester que seuls, nous sommes incapables d’être détachés des biens et de l’argent. Un de mes amis, une fois converti, pensait, en lisant l’Évangile, qu’il pouvait le mettre en pratique immédiatement. Ayant lu des passages qui invitaient à se défaire de ses biens, il voulait imiter en tout saint Antoine, saint François et d’autres saints en passant tout de suite à l’acte. Puisqu’il était peintre et attaché à ses tableaux, il pensa qu’il devait poser un geste pour s’en détacher. Comme il avait un ami qui aimait beaucoup ses toiles, il lui dit : « Marc, prends un de mes tableaux, celui que tu préfères. » Celui-ci s’arrêta devant la représentation d’un crucifix : « C’est celui-ci que je veux ! » Mon ami lui répondit : « Ah non, pas celui-là ! Tous les autres tableaux, oui, mais pas celui-là ! » Et Marc s’en alla furieux. Mon ami se mit à pleurer. Le Seigneur lui avait fait prendre conscience de son orgueil. Par cet échec, il se rendait compte qu’il n’était qu’un pauvre pécheur et que Jésus seul pouvait réaliser en lui les paroles de l’Évangile. Le Seigneur l’avait mis en vérité pour l’aider à s’appuyer sur lui et non sur ses propres forces.
IEV Mais pourquoi ce détachement est-il souvent pour nous si difficile ?
EM Depuis le péché originel, il y a en l’homme une blessure. « Je fais le mal que je ne veux pas faire et je ne fais pas le bien que je voudrais faire… » (Rm 7, 14 et suivants). Pourquoi ? Parce que le péché habite en nous. Il y a en nous une déchirure qui nous fait douter de l’amour de Dieu, que Dieu est providence. « Puisque les hommes ont en commun la chair et le sang, lui aussi a voulu pareillement prendre la chair et le sang pour affranchir tous ceux qui, toute leur vie, étaient esclaves du démon à cause de la peur de la mort » (He 2, 14).
Le démon sait très bien que nous avons peur de mourir, que l’argent représente une sécurité psychologique. Et il joue sur ce registre tout le temps. Je le ressens lorsque je prêche mes retraites. Les deux premiers jours, j’aborde des sujets touchant à la foi. Tout se passe bien. Quand vient le sujet de notre rapport à l’argent et aux biens, je sens que l’attention se fait plus vive. Et quand j’évoque la nécessité de poser un geste de détachement, je vois les visages se crisper…
Dans ses Exercices, saint Ignace de Loyola, évoque cette peur. Il explique que le démon attire les hommes en premier par une démesure dans la possession des biens. Car une telle accumulation peut occulter de façon illusoire notre peur de la mort.
Par la suite, il s’agit d’attacher les hommes à la vanité, à la recherche de l’estime des autres. Combien de fois je le vois dans mon ministère d’accompagnement spirituel ! Nous sommes tous esclaves du regard des autres. Nous cherchons tous à être reconnus, renommés, à être quelqu’un. Combien de parents disent à leur enfant : « Étudie, mon fils, car ainsi, tu obtiendras une position dans la société ! » Les mêmes parents sont-ils capables de dire à leur fils : « Prends une année sabbatique pour chercher Dieu car c’est sur lui que tu bâtiras ta vie » ?
Le troisième degré des tentations évoqué par saint Ignace est un orgueil infini : riche, on est quelqu’un, et donc, on domine l’autre. Observons le monde : toutes les guerres, d’où viennent-elles ?
Face à la haine, à la jalousie, à l’envie, les chrétiens ne peuvent pas se contenter de condamner. Ils sont appelés non seulement à se donner mais à se livrer à l’Esprit de Dieu, afin de le laisser agir en eux. Si nous lui laissons prendre les rênes de notre vie, alors il peut nous sanctifier et faire de nous le sel de la terre et la lumière du monde.
IEV Alors, comment dépasser cette peur de la mort ?
EM La foi est la seule façon d’en triompher : il s’agit de croire que Dieu, si nous lui accordons notre confiance, nous donnera tout ce dont nous avons besoin. Le Seigneur est venu vivre sur terre et mourir sur la croix pour ressusciter et détruire le pouvoir du démon qui se sert de notre peur de la mort pour nous enchaîner aux idoles.
N’oublions jamais que la plus grande de nos idoles, c’est souvent nous-même : nous sommes encore plus attachés à nous-mêmes qu’à ce que nous avons.
Une fois que nous nous sommes détachés extérieurement, et que nous avons vraiment signifié à Dieu par un geste concret : « C’est toi mon Dieu, ce n’est pas l’argent », il peut enfin prendre les rênes de notre vie et nous sanctifier peu à peu. Mettant en lumière des attachements plus intérieurs, il nous en libère progressivement. Nous pouvons ainsi devenir les témoins d’une liberté joyeuse par rapport aux biens et à l’argent. Petit à petit, livrés à l’Amour, nous apprenons à le laisser faire son œuvre en nous et à travers nous. Il nous envoie vivre et annoncer son amour aux périphéries. Et l’enjeu du détachement, c’est notre salut et celui du monde !  ¨
Propos recueillis
par Laurence de Louvencourt
Retrouvez l’intégralité de ce dossier dans le numéro de septembre d’Ilestvivant! à commander sur librairie-emmanuel.fr

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