Décryptage « Le miracle de l’unité est déjà en marche » (pape François)

LaurentFabreCheminNeuf
 
Pour saisir toute la portée d’événements survenus dans le domaine œcuménique depuis début 2014, Ilestvivant ! a rencontré le père Laurent Fabre, fondateur et berger de la communauté du Chemin Neuf.

Ilestvivant ! Justin Welby a demandé à la communauté du Chemin Neuf d’être présente dans sa résidence : quelle grande marque de confiance et quel signe d’ouverture de sa part !
Père Laurent Fabre En effet. Nous avons la chance de connaître Justin et sa femme Caroline depuis déjà un certain temps. Cet homme remarquable a beaucoup travaillé en Afrique à la réconciliation entre populations déchirées à la suite de conflits parfois très violents. Il a même risqué sa vie pour cette cause. Il aime profondément l’Afrique et nous a dit un jour : « J’ai rencontré sur ce continent des personnes qui aiment vraiment Dieu. » C’est en Afrique que son chemin a croisé le nôtre.
Au moment où il allait prendre ses fonctions d’évêque de Durham, Justin Welby est venu faire une retraite selon les Exercices spirituels de saint Ignace à l’abbaye d’Hautecombe. L’année suivante, il est revenu dans un lieu animé par le Chemin Neuf, l’abbaye des Dombes. Trois aspects de la vie de notre communauté le touchent tout particulièrement : notre vocation œcuménique ; la vie dans l’esprit – il a été prêtre à Holy Trinity Brompton, église dans laquelle sont nés les cours Alpha – ; et l’appel auprès des pauvres.
Avez-vous été toutefois surpris par sa demande ?
Bien sûr ! Car depuis 480 ans, il n’y avait pas eu de présence catholique dans ce lieu…
Quel sens donner à cet événement ?
À HTB, Justin Welby a fait l’expérience d’une vie communautaire. Il en a compris la force et il croit au renouveau qui passe par la vie communautaire. Ainsi, il y a quelque temps, il a invité tous les membres des congrégations religieuses de l’anglicanisme à se retrouver à Lambeth palace, pour leur parler justement du nécessaire et fécond renouveau de la vie religieuse.
Qu’attend-il précisément des membres de la communauté du Chemin Neuf à Lambeth Palace ?
Justin Welby a évoqué cette initiative avec le Pape avant de la mettre en œuvre. Bien sûr, le pape François et lui sont très en phase sur ce sujet. Ils savent l’un et l’autre l’importance de prier ensemble pour faire avancer l’unité des chrétiens.
C’est essentiel en effet. Le père Paul Couturier, le prophète de l’œcuménisme, en avait déjà l’intime conviction. Il disait : « Si toutes les confessions chrétiennes prennent à cœur la prière de Jésus avant de mourir : “Père, qu’ils soient un afin que le monde croie” Dieu ne pourra pas résister à une telle prière. » En d’autres termes, si nous sommes unis dans la prière, il va se passer quelque chose. Dieu ne peut pas ne pas nous exaucer.
Pourquoi, selon vous, a-t-il été nommé à la tête de l’Église anglicane ?
Justin Welby a un vrai rayonnement personnel. Il est très bien formé, très cultivé. Ensuite, il a une réelle expertise dans le domaine financier (cf. encadré page 9), ce qui est important pour l’archevêque de Cantorbéry, membre de droit de la Chambre des Lords. Sa compétence le rend crédible aux yeux des politiques. Sa vision peut ainsi peser sur les débats nationaux.
De plus, à l’heure où l’Église anglicane est traversée par de fortes tentations de schisme, en particulier avec les Africains, son parcours et son amour de ce continent sont un atout majeur. J’ai appris de sa bouche que 90 % des anglicans sont africains, c’est considérable !
Enfin, Justin Welby est un homme de conciliation : il est capable de s’entendre avec des personnes très différentes entre elles et aussi très éloignées de lui.
Un autre événement a marqué ces derniers mois : la vidéo réalisée de manière improvisée par le pape François avec la complicité de son ami Tony Palmer, pasteur anglican, à l’attention de leaders pentecôtistes. Comment avez-vous perçu cette vidéo ?
Jamais je n’aurais pensé voir une chose pareille ! L’Église pentecôtiste, surtout en Amérique latine, a connu une très forte croissance du fait des nombreux catholiques qui quittaient leur Église. À un moment donné au Brésil, ils étaient 1 000 chaque jour1. Dans ce contexte, le discours des pasteurs était très offensif. Il n’était même pas rare qu’ils comparent Rome à Babylone et le Pape à l’Antéchrist.
Alors, que des leaders pentecôtistes (qui représentent chacun des milliers de fidèles) applaudissent le Pape, prient pour lui de manière sincère, et acceptent, comme leur leader, d’aller le rencontrer à Rome, c’est un événement tout à fait étonnant. C’est le signe profond d’un changement d’attitude. D’autant plus que ce n’est pas un phénomène isolé. Ainsi, récemment, le plus grand leader évangéliste pentecôtiste de Suède Ulf Eckman et sa femme se sont convertis au catholicisme. Ils ont ressenti le besoin d’un magistère, d’un Pape, des sacrements, etc. Tous ces faits ne sont pas de simples épiphénomènes, ils correspondent à un mouvement de fond.
Que voulez-vous dire ?
En faisant des études de théologie, de nombreux Pentecôtistes découvrent la profondeur et la richesse de la pensée et de la tradition de l’Église et ils apprennent à l’aimer.
Lorsque, dans cette vidéo (cf. www.chemin-neuf.fr), Tony Palmer dit : « Nous sommes tous catholiques, nous avons à nous réconcilier avec la richesse de la tradition », ils applaudissent. Ils sont, en réalité, en train de se réconcilier avec leur histoire.
Quelle lecture faites-vous de tous ces événements ?
Nous vivons aujourd’hui des instants très particuliers.
Pour ne remonter qu’à une quinzaine d’années en arrière, en 1999, 482 ans après les thèses de Luther, un accord a été signé entre catholiques et protestants sur la doctrine de la justification. C’était tout à fait remarquable. Dans la vidéo citée plus haut, Tony Palmer va jusqu’à dire : « The protest is over. » (« La protestation n’a plus de raison d’être. ») !
Plus près de nous, un autre événement est lui aussi très significatif : 960 ans après le schisme, pour la première fois, le patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, est venu à Rome pour l’inauguration du pontificat du pape François.
Par ailleurs, à la faveur des événements d’Ukraine, le patriarche de Moscou s’est déplacé pour aller rencontrer le patriarche de Constantinople, alors qu’ils étaient en froid depuis plusieurs années. Ensemble, ces deux personnalités phares de l’Église orthodoxe (le patriarche de Constantinople a rang d’honneur ; le patriarcat de Moscou a le plus grand nombre de fidèles) se sont mis d’accord avec les douze autres patriarches pour organiser un concile panorthodoxe en 2016. C’est exceptionnel et cela suscite à juste titre une grande espérance. La dernière rencontre de ce type date du concile de Nicée, en 787. 1229 ans après, ils vont se retrouver. On peut percevoir dans cet événement une action de l’Esprit Saint.
Les spécialistes de l’œcuménisme soulignent parfois qu’il ne pourra y avoir de concile vraiment œcuménique tant que les orthodoxes ne seront pas d’accord entre eux. S’ils y parviennent, on peut alors rêver d’un concile vraiment œcuménique, qui pourrait se tenir, pourquoi pas, à Jérusalem. Ce serait un pas extraordinaire vers l’unité de l’Église.
Mais l’unité n’est pas l’uniformité. Quelle forme peut donc prendre cette unité de l’Église si elle se réalise ?
C’est une question très importante ! On peut distinguer quatre modèles d’unité dans l’Église, parfois considérés comme autant d’étapes. La première, présente chez beaucoup de chrétiens, consiste à penser qu’il faut que l’autre église se convertisse. C’est l’unité par absorption : chaque église veut absorber les autres. La seconde étape correspond à ce qui s’est vécu au lendemain de la Seconde guerre mondiale : l’espérance de l’unité des chrétiens était grande mais elle a été déçue. Le pasteur Boegner a parlé des « murailles infranchissables entre nos églises ». La troisième étape correspond à une sorte de fédération de toutes les églises que l’on désigne par « unité plurielle ». C’est une étape positive dans un premier temps : on rencontre les autres, on prend conscience qu’on est tous chrétiens. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas leur pareil pour passer d’une église à l’autre, pour voir plus ce qui nous unit que ce qui nous sépare. Mais cette vision de l’Église, est-elle vraiment celle de Jésus Christ ? Et celle de Paul, quand il parle d’un seul Corps ? C’est bien d’accepter l’autre dans sa différence mais c’est mieux encore d’accepter de confronter nos points de vue théologique et de parvenir à nous mettre d’accord afin d’avancer réellement vers une unité plus profonde.
Le quatrième modèle, qui est de loin le meilleur, considère que ce qui est en jeu, c’est la conversion des Églises (la « métanoïa »). En d’autres termes, si les anglicans, les protestants, les catholiques, les orthodoxes deviennent plus chrétiens, ces églises vont nécessairement se rapprocher. Et c’est finalement ce qui est en train de se produire. S’il y a quelqu’un qui croit en cette nécessaire conversion de l’Église catholique, c’est bien le pape François !
Chaque église garderait-elle ses particularités ?
Jean Paul II soulignait que chacune des grandes églises est porteuse d’éléments nécessaires pour le Corps tout entier. Ainsi, les protestants ont-ils un sens profond de l’importance et de l’autorité de la Parole de Dieu. Les orthodoxes vivent la collégialité. Les évangéliques ont redécouvert l’importance du Saint-Esprit qui fut longtemps le grand oublié2. Notre force à nous, catholiques, c’est notamment le Pape. Et il est intéressant de voir que les orthodoxes le reconnaissent. Ils disent : « Nous avons besoin d’un primat » et « Il faut que ce soit celui de Rome ». Le point critique porte sur le rôle spécifique de ce primat de Rome.
Mais quand le Pape dit que « le miracle de l’unité a déjà commencé », je pense profondément qu’il a raison. L’Esprit Saint est à l’œuvre. C’est comme si ce qui avait été décidé au concile Vatican II dans les années soixante devenait aujourd’hui beaucoup plus
prégnant.
Comment chacun de nous peut-il agir concrètement pour l’unité des chrétiens ?
Il s’agit de prendre au sérieux la prière sacerdotale de Jésus. C’est grave si on n’y croit pas, si l’on pense que notre unité n’aura lieu qu’au ciel. À l’inverse, si l’on croit que la prière de Jésus va être exaucée, cela nous donne plus d’espérance et de courage pour rentrer en vrai dialogue avec celui qui est différent.
Cherchons aussi à appliquer à la lettre ce que saint Jean Paul II a répété dans six ou sept discours officiels : « Tout ce que l’on peut faire ensemble, faisons-le ensemble. » C’est ce que nous cherchons à vivre à Lambeth palace. Propos recueillis par Laurence de Louvencourt
1. Les Pentecôtistes sont environ 750 millions dans le monde. De loin, c’est l’Église qui grandit le plus rapidement. Surtout dans des pays pauvres tels qu’en Afrique, en Asie (ils seront bientôt 200 millions).
2. « Il faut reconnaître que dans l’Église catholique, avant le Concile, le Saint-Esprit était le Dieu inconnu », affirmait le cardinal Ratzinger dans la préface d’un livre du père Raniero Cantalamessa.
Le chemin neuf vient de réaliser un film sur ce sujet à retrouver sur Youtube:

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