Qui est le cardinal Bergoglio ? Comment interpréter ses premiers pas ? Quels défis l’attendent ? Décryptage par Antoine-Marie Izoard*, qui commente pour nous ces premiers jours d’un pontificat qui de jour en jour impose un style humble et simple.
Propos recueillis par Claire Villemain
Dès le début de son pontificat, on assiste chez le pape François à une révolution de petits gestes de simplicité évangélique. Que faut-il y voir ?
Le style change ! Ce pape a sa personnalité, tout comme les 265 autres papes avant lui. Ces petits gestes vont sûrement révolutionner la Curie. Reste maintenant à savoir de qui, de la Curie ou du Pape, s’habituera le premier, et je crois que ce sera un travail dans les deux sens. La Curie va devoir accepter un Pape qui n’hésite pas à sortir de l’église comme un curé de paroisse, chasuble au vent. Mais le Pape va aussi devoir s’adapter et « faire le Pape ».
N’y a-t-il pas une tentation à comparer François à ses prédécesseurs ?
Si, notamment à Benoît XVI qui avait une rigueur toute allemande et une timidité et une réserve qu’on connaît. Mais ce serait erroné de les opposer. Ce que l’on peut observer c’est que l’on a trois papes qui, dans la continuité, ont enseigné l’espérance, la foi et la charité : Jean Paul II n’a cessé d’adresser des appels à l’espérance pour l’entrée dans le troisième millénaire, Benoît XVI a introduit les croyants à l’intelligence de la foi grâce à l’enseignement très riche qu’il a fourni, et François semble bien parti pour tourner nos cœurs vers plus de charité et de compassion.
A ceux qui craignent que cet excès de zèle évangélique n’amène à désacraliser la fonction, que faut-il leur dire ?
Je crois qu’il va rassembler l’Eglise « de droite » et « de gauche ». Il synthétise plutôt bien ces deux réalités, morale et sociale, qui coexistent réellement aujourd’hui. Il a ce profil du jésuite conservateur : dans sa congrégation réputée révolutionnaire, ses prises de position conservatrices ne le plaçaient pas toujours en odeur de sainteté !
Rigueur doctrinale et sobriété évangélique : un pont pour un dialogue plus facile entre l’Eglise et le monde ?
En tous cas, le monde a plutôt bien accueilli ce nouveau souverain pontife. De toute évidence, son charisme est extraordinaire. J’ai été marqué par le fait que, de la fenêtre de ses appartements, le Pape dialogue avec les 150 000 personnes de la Place Saint-Pierre : il leur dit une parole et attend qu’il y ait un retour. Il a fait rire la foule avec deux ou trois anecdotes lors de son premier Angélus… Ce charisme parle aux médias et au monde. Cela suffira-t-il pour que les médias du monde entier écoutent ce qu’il dira quand il parlera de questions morales, éthiques ? Quand ce Pape si sympathique et si attachant dira que l’on ne peut pas faire n’importe quoi avec la vie, la mort, le sexe, il sera intéressant d’observer la réaction du monde.
Challenger de Joseph Ratzinger lors du conclave de 2005, il n’avait pas souhaité poursuivre la « course ». En 2013, le voilà Pape. Avez-vous quelques clés de lecture à ce revirement ?
Ce qui a changé en huit ans dans la tête de Jorge Maria Bergoglio, c’est sûrement d’abord huit ans de plus ! En 2005, il était très délicat de succéder au long pontificat de Jean-Paul II. Sans dire que prendre la suite de Benoît XVI est plus aisé, tout le monde s’accorde à dire que c’est un peu plus simple. Entre temps, il y a eu des remous dans l’Eglise, liés au fait que Benoît XVI a voulu poser des gestes forts, parfois peu bruyants, pour « faire le ménage » et promouvoir plus de transparence au sein de l’institution. Le Pape François a, sans aucun doute, la force de caractère pour continuer ce travail.
Pourtant les cardinaux semblaient vouloir un Pape plus jeune, entre 60 et 70 ans… Et avec la grâce de l’Esprit Saint, ils élisent un homme de 76 ans. Que faut-il comprendre ?
Que ce sont des hommes de foi. Ils sont convaincus qu’il peut faire le job, renforcer la collégialité qui manque tant au sein de la Curie. On peut aussi se rappeler que Jean XXIII avait exactement le même âge à son élection ; or on ne peut pas dire que ce fut le moindre des Papes. Il a surpris tout le monde avec le Concile Vatican II, et l’Esprit Saint a bel et bien soufflé sur l’Eglise !
Il y a d’ailleurs beaucoup de traits communs entre Jean XXIII et François !
C’est vrai : un Pape « âgé », assez bonhomme, issu d’une famille très modeste, rond en tout mais avec un vrai souci doctrinal, très à l’aise avec la foule et le monde. Mais, tout comme Jean XXIII, on pourrait lui mettre des bâtons dans les roues, et les choses ne s’annoncent pas faciles pour lui, dans une Curie qui était plutôt tranquille jusqu’à présent.
La renonciation de Benoît XVI peut-elle créer un précédent et faire « jurisprudence » ?
Dans la tête des cardinaux, le fait que Benoît XVI ait renoncé à sa charge peut laisser penser que désormais un Pape peut laisser sa place quand il n’a plus la force de l’assumer. Elire un Pape de 76 ou 78 ans n’est plus un problème, un pontificat aussi long que celui de Jean Paul II n’est pas la seule possibilité.
Le Saint Père a déclaré : « Ah ! Comme je voudrais une Eglise pauvre et pour les pauvres ». Qu’entendez-vous derrière cela ?
Cela tranche avec ce que l’on constate ici à Rome, c’est évident. Sans aller dans les excès des dorures du Vatican, il y a la tendance pour certains prélats de se laisser tenter par le luxe, ou du moins l’apparat et le carriérisme. Si Dieu le veut, et le Pape avec, on verra peut-être la fin de tout cela.
Qu’entend-on par « réforme de la Curie » ?
Avant tout, aller vers plus de transversalité, afin de permettre aux collaborateurs du Pape de se voir plus souvent, et de rencontrer le Saint Père dès que cela est possible. Sous les pontificats précédents, il était très difficile pour un cardinal de Curie d’accéder au Pape. Il arrivait qu’un cardinal, donc un de ses ministres, ne le voit qu’une à deux fois par an. Une réforme dans ce sens est nécessaire. Il faudrait que le Pape, ou son secrétaire d’Etat, puisse réunir une sorte de conseil des ministres plus régulièrement. Jean Paul II, comme Benoît XVI, en tenait un voire deux par an. C’est extrêmement peu.
Un assainissement moral n’est-il pas aussi nécessaire ?
C’est évident. Il y a des réformes à mener sur les questions de corruption et de népotisme. Beaucoup d’employés sont italiens, les petits arrangements entre amis vont souvent bon train et l’on a laissé faire beaucoup de méthodes à l’italienne. C’est ainsi que le fils du gendarme, du postier et du fleuriste pouvaient par exemple se retrouver dans un bureau chargé des traductions du Pape !
En Argentine, il s’est parfois opposé vivement à la présidente Cristina Kirchner. Est-il déjà une autorité politique ?
On risque d’avoir des surprises comme on a pu en avoir pendant le pontificat de Karol Wojtyła, lorsque le Pape prenait position de manière très forte sur l’Est, Le Golfe et l’Irak. On se souvient de Jean Paul II, tapant du poing sur son pupitre avec beaucoup de force. Je découvre, en interviewant tel ou tel argentin au Vatican, qu’il faut s’attendre à des différences de perspectives en matière de géopolitique. Ce Pape ne va pas tout de suite aller vers un centralisme européen, et il pourrait notamment ouvrir à l’Asie.
Son pays est aussi très touché par la crise économique, et il y a beaucoup sollicité le monde associatif. Une expérience qui pourrait l’aider à s’exprimer sur cette question ?
Il faudra attendre ses premières interventions diplomatiques pour savoir en quoi le cardinal Bergoglio met de lui-même dans les interventions officielles du Saint Siège. La position diplomatique du Vatican est très claire, et en général on n’en sort pas trop. Mais il peut multiplier les déclarations, comme il a déjà pu en faire, qui permettent de critiquer avec plus de force le libéralisme. Comme l’ont fait d’ailleurs très largement avant lui Jean Paul II et Benoît XVI.
*Journaliste, directeur de l’agence de presse I.Media spécialisée dans le Vatican depuis 2005, Antoine-marie IZOARD vit à Rome depuis 16 ans.
En dates
13 mars 2013 : la fumée blanche s’élève à 19h06. A 20h13, face à une foule compacte, le cardinal français Jean-Louis Tauran prononce l’« Habemus Papam ». Le cardinal argentin Jorge Maria Bergoglio, 76 ans, est le 266e Pape de l’Eglise catholique, et choisit le nom de François. Il apparaît à la loggia dix minutes plus tard. En s’inclinant, il commence par demander une faveur à la foule : prier pour lui.
19 mars 2013 : messe d’installation du nouveau Souverain pontife, en la fête de saint Joseph. L’évêque de Rome commence son ministère pétrinien.
23 mars 2013 : le pape François se rend à Castelgandolfo, où Benoît XVI réside depuis sa renonciation le 28 février.
31 mars 2013 : première bénédiction « urbi et orbi », en la solennité de Pâques.